Derrière la mort d’Andy Finch : un pari de 1,50 dollar (1,20 euro) perdu lors d’une partie de « Call of Duty: WWII ». / Activision

Tyler Barriss, 25 ans, a été mis en examen vendredi 12 janvier aux Etats-Unis pour homicide involontaire. Celui d’Andy Finch, 28 ans, abattu par balle à Wichita (Kansas), le soir du 28 décembre. M. Barriss n’a pourtant pas appuyé sur la gâchette. A vrai dire, il n’était même pas présent au moment des faits : il habite à plus de 2 000 km de là, chez sa grand-mère à Los Angeles.

Andy Finch est la victime d’un swatting fatal, le premier, croient savoir le Guardian et le New York Times. Né il y a une quinzaine d’années, ce phénomène s’apparente à un canular particulièrement dangereux, qui consiste à appeler le 911 (le numéro d’appel d’urgence aux Etats-Unis) et à faire croire à une prise d’otage ou à une alerte à la bombe.

L’adresse donnée, évidemment, n’est jamais celle du plaisantin, mais plutôt celle d’une école, d’un événement public ou juste une personne tierce. Le but du jeu : faire intervenir le SWAT (l’équivalent américain du GIGN) chez la victime, dans l’espoir de lui coller la peur de sa vie.

Un canular qui, en général, se contente de coûter très cher à la collectivité (environ 10 000 dollars, un peu plus de 8 000 euros, selon l’expert en la matière Brian Krebs), et qui, cette fois, a très mal tourné.

Une partie de « Call of Duty » pour point de départ

C’est une balle perdue qui aurait initié la tragique succession d’événements qui mènera à la mort d’Andy Finch. Mais une balle virtuelle, tirée depuis un jeu vidéo sur PlayStation 4. Celle qu’un joueur, un certain M1ruhcIe, aurait tirée par erreur sur son coéquipier Baperizer lors d’un match de Call of Duty : WWII. Entre les deux joueurs, le ton serait monté. Il faut dire que le match avait un enjeu, un pari, passé via le site Umggaming.com, promis à l’équipe gagnante : un dollar, et cinquante cents.

D’après des témoins, la dispute éclate, et se poursuit sur Twitter. Les joueurs se menacent. M1ruhcIe donne une adresse à Baperizer, et le met au défi de le « swatter ». « Essaye toujours, j’attends. Tu finiras en prison pour cinq ans. » M1ruhcIe présente cette adresse comme la sienne. Mais en vérité, comme il l’aurait confié plus tard à un autre coéquipier, il n’a pas voulu prendre de risque : cette adresse, ce serait celle de son ancienne maison.

Il avait vu juste : Baperizer n’ose pas appeler le 911 lui-même. Alors il aurait contacté un certain SWAuTistic, jeu de mot entre « SWAT » et « autiste », de son vrai nom Tyler Barriss. C’est lui qui appellera les urgences, lui qui prétendra avoir abattu son père d’un balle dans la tête, qui dira à l’agent au bout du fil qu’il tient sa mère et son petit frère en joue et être prêt à mettre le feu à la maison. C’est lui qui donnera cette adresse à Wichita, Kansas.

Des témoignages glaçants

La suite donc, c’est cette intervention tragique du SWAT chez Andy Finch, qui ouvre la porte quand il entend du bruit devant la maison familiale, met machinalement la main à sa ceinture, un geste interprété par un agent comme une menace : il tire et tue l’homme d’une balle. « Ce n’était même pas un gamer », dira sa mère à un média local. Arrêté le lendemain, samedi 30 décembre, Tyler Barriss sera extradé le 11 janvier vers le Kansas où, mis en examen le 12, il attend désormais son jugement pour homicide involontaire.

Il faudra attendre la suite du procès de M. Barriss pour connaître l’enchaînement exact des événements. Mais si autant de détails sont déjà connus, c’est parce qu’avant d’être placé en détention, quelques heures seulement après la mort de M. Finch, le « swatteur » et certains de ses coéquipiers ont multiplié les confessions, sur Twitter et dans le show YouTube du vidéaste américain Daniel Keem, DramaAlert. Là, M. Barriss explique qu’il « adore swatter les gamins qui croient que rien ne peut leur arriver ».

S’il exprime quelques très timides regrets, chaque mot semble pesé, comme s’il avait préparé son argumentaire depuis longtemps.

« Je ne dis pas que je n’ai pas de responsabilité dans sa mort mais je n’ai tué personne. Je ne pense pas que je devrais être inculpé pour meurtre mais ça ne veut pas dire que je ne devrais pas faire de prison. Si je devais être arrêté et inculpé, alors soit, je ferais la peine à laquelle ils me condamnent. »

Plus troublant encore, il explique froidement qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Il reconnaît ainsi avoir déjà menacé de « swatter » (sans passer à l’acte) un joueur professionnel de Call of Duty : « Je cherchais à attirer son attention. »

On sait aussi depuis ce vendredi 12 janvier qu’il a également été mis en examen pour délit de fausse alerte dans un autre cas de swatting : celui, survenu le 22 décembre, d’une Canadienne de Calgary dont il ne supportait pas « la personnalité en ligne ». Son numéro est rôdé : au 911, il aurait décrit exactement la même situation de prise d’otage que le soir du 28 décembre, celui de la mort d’Andy Finch. Heureusement, il n’y aura cette fois pas de victime.

Fausses alertes à la bombe

Mais à l’en croire, le swatting n’est pas sa spécialité. « Je fais plutôt dans l’évacuation », explique calmement à Daniel Keem celui qui se vante par ailleurs sur Twitter d’avoir déjà « fait évacuer 100 écoles » avec de fausses alertes à la bombe.

De fait, l’homme a déjà été condamné à deux ans et huit mois de prison (il n’en fera que six) pour avoir fait évacuer à deux reprises les locaux de la chaîne de télévision ABC à Glendale, Californie, en septembre et octobre 2015. Début décembre 2017, il avait également revendiqué deux alertes à la bombe imaginaire qui avaient forcé la police à évacuer le centre de congrès de Dallas. Encore une fois, Call of Duty : WWII figure dans l’équation : il s’y tenait alors un tournoi du célèbre jeu de tir.

Sur Twitter, Tyler Barriss se vantait d’avoir fait évacuer le bâtiment, proposant même déjà, à l’époque, au vidéaste Daniel Keem de l’interviewer « avant qu’il n’aille en prison ».

« Je trouve les alertes à la bombe plus fun et plus cool que les swats, et j’aurais dû m’y tenir », confiait-il au site de Brian Krebs peu après la mort d’Andy Finch et quelques heures avant son arrestation, avant d’expliquer s’être converti au swatting pour l’argent.

M. Barriss doit présenter sa défense d’ici la fin du mois de janvier. Mais déjà, le 29 décembre, au micro de Daniel Keem, il se défendait d’être l’unique responsable du drame : « J’ai passé l’appel mais on peut aussi pointer du doigt la personne qui a tiré, ou celle qui a donné l’adresse. »

Et de fait, l’enquête n’a pour le moment pas permis de déterminer la responsabilité de l’agent ayant abattu Andy Finch le 28 décembre. Il a été pour l’instant mis à pied, dans l’attente de l’autopsie et des expertises toxicologiques et balistiques.