Satisfaction des zadistes, mercredi 17 janvier, après l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport par le premier ministre, Edouard Philippe. / Mathieu Pattier / AP

Sur le site de la Vache Rit, lieu symbolique du combat contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Jean-François Guitton, agriculteur membre du collectif Copain 44, a les larmes aux yeux, en ce mercredi 17 janvier, après l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport par le premier ministre.

« On en a chié quand même. Depuis le temps qu’on tremble face aux annonces d’expulsion. On avait raison, ce n’est pas un projet du XXIe siècle. On a gagné la première manche, la plus importante. On a sauvé 1 650 hectares de l’artificialisation. »

L’agriculteur Sylvain Fresneau, figure de la lutte paysanne, moustache à la José Bové, a écouté l’annonce de l’abandon du projet NDDL avec sa famille et deux amis : « On a pleuré des yeux, oui. On s’est tombé dans les bras et on s’est embrassé. Ça a été une explosion de joie. »

« Moi j’étais la génération sacrifiée par ce projet. J’ai consacré ma vie à la lutte. Maintenant je suis heureux : mon gars, lui, va pouvoir vivre et exploiter ces terres tranquillement. On va s’associer en groupement d’exploitation en commun [GAEC] et travailler pour l’avenir et la préservation de ce territoire. Tout ce qui a été empêché par ce projet, on va pouvoir le faire, créer des circuits courts, réfléchir autrement. »

« Je suis très surpris de voir que tout ce qu’a dit le premier ministre me convient »

Son frère, Pascal Fresneau, 61 ans, garagiste à la retraite et habitant de Notre-Dame-des-Landes, partage la joie ambiante et s’étonne :

« Je me sens de gauche, je vote écolo pour lutter contre le projet, mais là je suis très surpris de voir que tout ce qu’a dit le premier ministre me convient. Et ce, même si tous les opposants ne penseront peut-être pas la même chose. »

Il a une pensée pour leur père, décédé il y a douze ans. « Il n’aura pas vu cette victoire alors qu’il a été le premier président de l’Adeca, première association d’agriculteurs ayant combattu le projet », regrette Pascal Fresneau. A l’âge de 12 ans, il faisait « des pochoirs pour les panneaux d’affichage anti-aéroport. Il y a des manifs qui m’ont pris à la gorge, rapporte-t-il. Quand vous voyez des milliers de personnes converger, et que vous êtes chargé de la circulation, ce qui est mon cas dans toutes les manifestations, ça prend aux tripes. » Il garde aussi en mémoire « la condescendance de certains citoyens et élus pour ce qu’ils jugeaient comme un petit combat d’agriculteurs ».

Et il ajoute, hilare : « Tout à l’heure, on a vu de la fumée blanche dans les airs. On s’est dit que c’était notre député qui brûlait sa carte d’électeur. » Le député de la circonscription englobant Notre-Dame-des-Landes, Yves Daniel, ex-socialiste passé sous la bannière En marche ! avait en effet déclaré qu’il brûlerait sa carte d’électeur en cas d’arrêt du projet.

« Laissez-nous travailler deux mois et vous verrez »

La suite de l’histoire reste à écrire en ce qui concerne le devenir des terres. Sylvain Fresneau souhaite que l’Etat garde la main sur les terres : « Il y aura une période de transition inévitable. Qui a vendu, qui veut récupérer les terres expropriées ? » Selon l’agriculteur, « ce sont les gens du cru qui sont le mieux à même de défendre ce territoire et gérer la réallocation des terres sous l’égide d’un médiateur nommé par l’Etat ». Une solution préconisée mot pour mot par les trois médiateurs nommés par le gouvernement pour dénouer le dossier.

La route départementale 281 va être « libérée sans difficulté », assure M. Fresneau.

« Laissez-nous faire, plutôt que les forces de l’ordre. On veut à tout prix que les forces de l’ordre ne viennent pas, ça fera des abcès de tension pour rien. Nous, on est d’accord pour qu’il n’y ait pas de bordel. Laissez-nous travailler deux mois et vous verrez, on aura avancé dans les projets et les gens les plus extrémistes seront partis. On peut parler, faire comprendre, on sait faire. »

Jean-François Guitton va dans son sens. Il faut « arrêter de croire que les zadistes sont des gens ultraviolents, plaide-t-il. Ce n’est pas l’état de guerre ici, il n’y a pas de terroristes. La lutte a duré tellement longtemps… Des gens sont partis, d’autres se sont installés et ont développé de vrais projets de vie. On ne peut pas balayer cela d’un revers de main. »

« La ZAD restera aussi un lieu d’expérimentation »

« Jusqu’à ce mercredi midi, j’étais expulsable du jour au lendemain, témoigne Marcel Thébault, 59 ans, producteur de lait installé dans la zone depuis 1999 et faisant partie des agriculteurs expropriés. Ce qui était dur, c’était le soir, après le repas, quand les gamins demandaient si on dormirait sous un pont le lendemain. Dans pareil cas, on se sent seuls et démunis. Là, on change de régime, on passe dans la sérénité ; on redevient des occupants parfaitement légaux sur nos terres et dans nos maisons. »

Quid de l’avenir de la ZAD ? « Ce que j’ai compris des propos du premier ministre me convient. J’ai entendu qu’on allait laisser du temps aux gens pour s’adapter. Il y aura des négociations. Qu’il y ait besoin de conformité et de règles communes dans ce pays, c’est quelque chose que l’on peut comprendre », remarque Marcel Thébault. Pour autant, impossible « d’aller vers une normalisation totale. Personne n’a envie de ça. Toutes les habitations créées ne peuvent pas disparaître. Il ne faut pas oublier que dans la lutte, on s’est tous protégés et renforcés. Demain, cette solidarité continuera. La ZAD restera aussi un lieu d’expérimentation avec pour partie des modes de vie décalés. »