Au siège de la CIA, à Langley (Virginie), en 2008. / SAUL LOEB / AFP

Le 20 mai 2017, le New York Times publiait une longue enquête consacrée à la décimation du réseau d’agents travaillant pour la CIA en Chine. Le quotidien new-yorkais avançait des chiffres. Selon ses sources, une vingtaine de personnes avait été soit exécutées, soit emprisonnées entre 2010 et 2012. Un coût humain aussi élevé que ceux liés aux trahisons d’Aldrich Ames, condamné à perpétuité en 1994, et de Robert Hanssen, puni de la même peine en 2002, pour avoir l’un comme l’autre renseigné l’Union soviétique, puis la Russie. Dans le cas chinois, la CIA s’était tout d’abord inquiétée de la raréfaction d’informations en provenance de Pékin, avant que les premières éliminations ne lui soient signalées.

Un ancien membre de l’agence de renseignement, Jerry Chun Shing Lee, va peut-être bientôt lever le mystère. Ce dernier a été arrêté lundi 15 janvier à son arrivée à l’aéroport JFK de New York, en provenance de Hongkong. Il a été inculpé de possession illégale d’informations relatives à la sécurité nationale des Etats-Unis. Naturalisé américain, ancien militaire, il avait commencé à travailler pour la CIA en 1994, pour des tâches comme le suivi des agents de terrain. Jerry Chun Shing Lee a quitté l’agence en 2007.

Carnets de notes top secret

Les faits qui lui sont reprochés remontent à 2012. A cette époque, l’agence américaine de renseignement met tout en œuvre pour identifier la source du contre-espionnage chinois et pour stopper l’hémorragie. De par ses fonctions passées, Jerry Chun Shing Lee fait figure de suspect plausible. Installé à Hongkong après son départ de la CIA, il effectue un voyage aux Etats-Unis en 2012 dans la perspective d’un déménagement avec sa famille en Virginie.

La fouille de sa chambre d’hôtel, lors d’une escale à Honolulu, puis d’une autre en Virginie par la police fédérale, permet la découverte de deux carnets remplis d’informations classées top secret, qu’il aurait dû restituer à la fin de sa mission. Leur contenu est ravageur. Y figurent notamment les identités réelles et les contacts téléphoniques d’agents clandestins de la CIA, des notes prises pendant des réunions avec des agents, des lieux des rencontres et des adresses d’abris clandestins. A cinq reprises, en 2013, l’homme est interrogé par le FBI, qui, manifestement, tait la découverte des carnets. Le suspect se garde, lui aussi, de les évoquer.

Un an plus tard, Jerry Chun Shing Lee quitte le territoire américain pour s’installer de nouveau à Hongkong. En avril 2017, la Chine expulse vers les Etats-Unis une ressortissante américaine condamnée pour espionnage et incarcérée depuis deux ans dans l’attente d’un procès. Un élargissement perçu comme un geste d’apaisement de Pékin envers Washington. Sandy Phan-Gillis avait été arrêtée en mars 2015 alors qu’elle tentait de quitter la Chine.

Doutes persistants

Les interrogatoires de Jerry Chun Shing Lee n’ont cependant pas dissipé les doutes du FBI. Son retour aux Etats-Unis de janvier 2018, dont le motif n’a pas été communiqué pour l’instant, lui est fatal. La possession illégale d’informations relatives à la sécurité nationale qui lui est reprochée est passible d’un maximum de dix ans de prison. Il n’est pas question pour l’instant de trahison.

La guerre d’influence qui oppose silencieusement la Chine aux Etats-Unis a pris un tour plus people dans les colonnes du Wall Street Journal, le jour même de l’arrestation de Jerry Chun Shing Lee. Le quotidien des affaires y rapportait que le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, devenu conseiller à la Maison Blanche, a été mis en garde un an plus tôt par la police fédérale à propos de ses relations avec l’ancienne épouse du magnat des médias Rupert Murdoch, Wendi Deng, dont il est proche.

Selon le Wall Street Journal, le FBI a prévenu Jared Kushner que cette dernière pourrait utiliser ses relations avec lui et sa femme Ivanka, la fille aînée de Donald Trump, pour promouvoir des intérêts chinois aux Etats-Unis.