Elle est sortie de son silence ce jeudi 18 janvier, lors des vœux à la presse organisés à Lille. Multipliant les piques contre la politique d’Emmanuel Macron, Martine Aubry s’est aussi exprimée sur l’élection du futur premier secrétaire du Parti socialiste, juste avant le congrès des 7 et 8 avril prochains : pour elle, ce sera Olivier Faure. Car la maire de Lille est « convaincue par les convictions » de son ancien attaché parlementaire, qui « refuse les accords d’appareils et les combines » et « veut remettre le parti au travail ».

Martine Aubry a donc choisi son candidat mais que pèse encore l’« aubrisme » dans le parti ? « On ne parle plus d’aubristes, de vallsistes, de strauss-kahniens ou de fabiusiens, confie-t-elle. Les courants du PS, c’est fini. Heureusement, tous ceux qui les dirigeaient sont un peu comme moi : dans la dernière partie de leur vie politique. »

Ils sont pourtant nombreux au PS à continuer à penser que sa voix porte toujours. « Martine Aubry n’a jamais eu un courant à proprement parler, à la différence de Fabius ou Strauss-Kahn, et elle n’a jamais eu de réseau très structuré, plutôt un ensemble d’individualités autour d’elle comme François Lamy, Jean-Marc Germain ou Christian Paul, explique Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université Lille-II. Mais elle a toujours une espèce d’aura qui joue un peu sur la rareté de ses interventions publiques. »

« L’aubrisme, c’est une certaine idée de la gauche »

Depuis juin dernier, la maire de Lille a été médiatiquement peu présente. Les Français la placent assez haute dans les différents baromètres politiques. Première secrétaire de la fédération PS du Nord, Martine Filleul lui reconnaît « une audience importante auprès des Français à un moment où les socialistes ne sont plus audibles ».

Une audience liée en partie à son action de ministre du gouvernement Jospin. « L’aubrisme, c’est une certaine idée de la gauche basée sur l’égalité, la justice sociale, de réformes », explique Patrick Kanner, qui fut un temps l’un de ses proches avant d’être mis à l’écart, suite à son entrée au gouvernement de Manuel Valls en 2014, où il fut ministre de la ville. Un socialisme basé sur une ligne idéologique démocrate-chrétienne qui s’appuie sur ce qu’elle a réalisé en tant que ministre : la CMU (couverture mutuelle universelle), les emplois jeunes, les 35 heures, etc.

La fille de Jacques Delors est également reconnue pour son travail mené à la tête du PS, de fin 2008 à 2012. « Elle a été une très bonne secrétaire, elle a remis les gens au boulot, elle nous a rassemblé, alors que ce n’était pas facile », raconte le député européen Gilles Pargneaux, ancien lieutenant de Martine Aubry, lui aussi banni depuis son rapprochement avec les positions du président Macron.

« L’aubrisme n’existe plus, c’est évident »

Mais depuis le quinquennat de François Hollande et les défaites électorales successives du PS, les rangs des aubristes, plus ou moins frondeurs, se sont resserrés. Des proches de Martine Aubry ont perdu leur écharpe de député comme Jean-Marc Germain, Anne-Lise Dufour ou François Lamy, quand d’autres ont perdu leur poste de maire comme Adeline Hazan à Reims. Idéologiquement, Martine Aubry a lancé plusieurs réflexions autour d’une gauche sociale et solidaire à travers Réussir, Renaissance, ou le Carrefour des gauches, mouvements aujourd’hui en veille.

De sa génération, tous les anciens ministres de Jospin (DSK, Guigou, Allègre, Védrine, Glavany, Vaillant, Lebranchu, etc.) ont quitté les responsabilités. Sauf elle. A moins de trois mois du congrès, difficile de quantifier le nombre d’aubristes. « Qui pèse quoi ? Difficile à dire, estime la sénatrice du Nord Martine Filleul. Beaucoup de camarades sont partis, mais on ne sait pas, en terme de sensibilité, qui est ce noyau dur qui est resté. » Certains ont rejoint Génération-s de Benoît Hamon, d’autres ont préféré se rapprocher de La République en marche d’Emmanuel Macron comme le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt ou le sénateur et ancien maire d’Hellemmes Frédéric Marchand, encore un élu rayé du cercle d’Aubry. « L’aubrisme n’existe plus, c’est évident, tranche Gilles Pargneaux, toujours membre du PS mais définitivement partisan d’une sociale-démocratie comme aiguillon social de la majorité présidentielle. Au niveau national, les lieutenants sont réduits à peau de chagrin. Une page est tournée. »

« On n’a jamais été nombreux »

Pour l’un de ses fidèles bras droits, François Lamy, la question n’est pas de se compter. « On n’a jamais été nombreux, dit-il. Physiquement, on représentait 30 % de la majorité dans les instances au dernier congrès ». Ce qu’il retient, c’est que l’aubryisme restera une référence dans la manière de faire de la politique. « L’aubrisme est né en 1997, avec la création du mouvement Agir, puis de Réformer, autour de 70 parlementaires, se souvient l’ancien député. Ensuite, il y a eu la période où elle est devenue première secrétaire. Là, c’était l’image de l’autorité, la défense des valeurs, une certaine façon de faire de la politique. » Autour d’un leitmotiv : valeurs et convictions. Ce que Martine Aubry retrouve dans la candidature d’Olivier Faure. « Désormais, il faut faire du totalement neuf, ajoute l’ancien ministre François Lamy. De nouveaux courants vont apparaître mais dans les partis de gauche, Martine Aubry reste une référence. Nous, aubristes, on peut parler à tous les responsables de la gauche, politiques et syndicalistes. »

« Elle est comme une murène. Elle sort de son trou, elle mord et elle revient dans sa grotte »

Hier, devant la presse, la maire de Lille a souhaité que le PS retrouve la confiance des Français en faisant une analyse du bilan du quinquennat de François Hollande, puis en se positionnant clairement vis-à-vis d’Emmanuel Macron et enfin en construisant un grand projet autour d’une social-démocratie de gauche. « Il faut remettre tout le monde en marche en discutant et en avançant », a-t-elle insisté, entourée de son premier adjoint et des maires de Lomme et Hellemmes.

A Lille aussi, les aubristes sont de plus en plus discrets. En ayant perdu la présidence de la métropole européenne de Lille et la main mise sur la fédération PS du Nord, la maire de Lille a perdu de l’influence. Mais beaucoup connaissent ses capacités à rebondir. « C’est une femme d’Etat qui a une vie politique majeure, confie un parlementaire socialiste. Il vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi ». Au PS, chacun connaît son pouvoir de nuisance et sa capacité à décocher des flèches bien senties. Même si c’en est fini des courants comme l’aubrisme, Martine Aubry n’a pas pour autant annoncé qu’elle cesserait de s’exprimer au PS. « Elle est comme une murène, sourit ce parlementaire PS. Elle sort de son trou, elle mord et elle revient dans sa grotte. » Hier, c’est plutôt la politique d’Emmanuel Macron qui a été mordue.