Kenneth Roth à Paris, le 17 janvier. / GONZALO FUENTES / REUTERS

C’est la première fois que Human Rights Watch, la grande organisation internationale de défense des droits de l’homme, rend public son rapport annuel depuis la capitale française. « Un hommage à Emmanuel Macron et au symbole qu’avait représenté sa victoire électorale. Elle a marqué un coup d’arrêt à la vague populiste notamment après le Brexit et l’élection de Donald Trump montrant qu’il était possible de gagner une élection en affirmant des principes démocratiques », explique Kenneth Roth, juriste et directeur exécutif de HRW.

En trente ans, M. Roth a transformé la modeste ONG en une multinationale de 425 salariés, financée par des dons de particuliers et de fondations. Mais, lucide, il souligne que maintenant « le défi pour le président français est de gouverner selon les principes qu’il a avancés pendant sa campagne ». Or, de l’avis du juriste américain, pour le moment « le bilan est pour le moins contrasté ».

Si la France est en première ligne de la contre-offensive face aux populismes, sa défense des droits de l’homme est inégale, tant en politique intérieure que sur la scène internationale. « Il y a de réels faux pas d’Emmanuel Macron qu’il va, j’espère, corriger », relève Kenneth Roth, qui s’inquiète notamment de la loi antiterroriste entrée en vigueur le 1er novembre 2017, qui, en remplacement de l’état urgence, intègre dans le droit commun un certain nombre de mesures liberticides.

« C’est facile quand c’est gratuit »

Il pointe aussi sa politique envers les migrants. HRW approuve le discours tenu à Calais par le chef de l’Etat, affirmant une tolérance zéro pour des abus des forces de l’ordre vis-à-vis des migrants, mais la volonté de Paris de raccourcir les délais d’instruction des demandes d’asile, comme l’introduction de contrôles administratifs des migrants dans les centres d’hébergement d’urgence, préoccupent l’ONG.

L’hypocrisie est évidente à propos de la Libye. « Les autorités françaises reconnaissent que l’on ne peut pas renvoyer de force les migrants dans ce pays où ils sont traités de manière atroce, mais elles acceptent que l’UE et en particulier l’Italie fassent indirectement ce que Paris ne peut pas faire directement, en formant les garde-côtes libyens qui ramènent les migrants sur le territoire libyen », insiste Kenneth Roth, rappelant « qu’il y a plus de migrants qui meurent en Libye qu’en essayant de traverser la Méditerranée ».

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Même ambivalence sur la scène internationale. Au crédit d’Emmanuel Macron, M. Roth salue l’attitude de la France face à la Russie de Vladimir Poutine, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, la Hongrie de Viktor Orban et le Venezuela de Nicolas Maduro. Mais « le président n’est pas encore à l’aise avec la défense des droits de l’homme quand cette dernière a un coût », fustige Kenneth Roth, notant son silence sur les violations des droits de l’homme lors de sa visite en Chine, son refus de donner des « leçons » au président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, et ses prudences sur le Yémen et la « tragédie humanitaire » entraînée par la guerre menée par l’Arabie saoudite. Sur ce dossier, Londres comme Washington font tout autant profil bas. « C’est facile de défendre les droits de l’homme quand c’est gratuit », insiste le responsable de HRW.

« Année noire » en Russie

Ce vingt-huitième rapport annuel, un texte de 643 pages dans la version intégrale en anglais, passe en revue la situation des droits de l’homme dans 91 pays, de l’Afghanistan au Zimbabwe. En Chine et en Russie, le directeur de l’ONG dénonce « une vague de répression sans précédent en une génération ». « L’année 2017 a été une année noire pour les voix indépendantes en Russie et à l’approche de l’élection présidentielle de mars, le Kremlin prend des mesures répressives pour dissuader l’opposition politique, le militantisme indépendant et la critique », note le texte.

La situation n’est pas moins alarmante en Turquie, où « à tous les niveaux les contre-pouvoirs qui protègent les droits humains et l’Etat de droit sont menacés ». Le rapport évoque longuement le cas de la Birmanie et du nettoyage ethnique contre les Rohingya, mais aussi la situation interne aux Etats-Unis après un an de présidence Trump. Le président républicain, selon HRW, « a promu des politiques mettant en danger les personnes vulnérables et affaiblissant les protections constitutionnelles des droits humains de chacun ».