Cédric Pietralunga, journaliste au service politique du Monde, a répondu aux questions des internautes après l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

Bernard : Est-ce que la décision d’abandonner le projet ne met pas le président et le gouvernement en difficulté puisque le résultat de la consultation était en faveur de la construction de l’aéroport ?

Cédric Pietralunga : Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était à plusieurs reprises prononcé en faveur de la construction de l’aéroport, estimant qu’il fallait respecter le référendum local organisé en 2016. On peut donc y voir un reniement de sa part et c’est d’ailleurs l’angle d’attaque choisi par l’opposition.

Pour autant, le chef de l’Etat et le premier ministre estiment que le procès en trahison qui leur est intenté n’aura pas d’impact dans l’opinion qui, au contraire, sera redevable à l’exécutif d’avoir enfin pris une décision sur un dossier ouvert il y a un demi-siècle et qui empoisonnait les gouvernements depuis une quinzaine d’années.

Ugo : Lors de son discours, Edouard Philippe a très peu mis en avant les arguments écologiques. Peut-on qualifier cette décision de victoire de Nicolas Hulot ?

La décision de ne pas construire d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est incontestablement une victoire pour Nicolas Hulot, même s’il ne faisait pas partie des plus farouches opposants au projet parmi les écologistes. Elle lui permet d’afficher une victoire alors que le ministre de la transition écologique est régulièrement accusé depuis le début du quinquennat de servir de caution verte à Emmanuel Macron.

Pour autant, Nicolas Hulot et ses soutiens ne font pas de triomphalisme, estimant qu’ils ont d’autres arbitrages à gagner (fermeture de centrales nucléaires, baisse de la part du diesel dans le parc automobile, etc.) avant la fin du quinquennat.

Maxime : Le renoncement à la construction de NDDL ne s’inscrit-il pas dans la logique de réexamen attentif de tous les grands projets d’infrastructures français ?

Le gouvernement a en effet indiqué dès le début du quinquennat que la priorité n’était plus à la construction de grands projets d’infrastructures, davantage pour des raisons budgétaires que par conviction écologique d’ailleurs. L’abandon de NDDL peut être analysé à travers ce prisme, même si le coût du renoncement sera sans doute élevé : certains évoquent un montant de quelque 350 millions d’euros que l’Etat devra verser à Vinci, qui s’était vu attribuer le projet.

Pour autant, tous les grands projets d’infrastructures ne sont pas enterrés : en 2017, Emmanuel Macron a ainsi assuré à Paolo Gentiloni, le président du conseil italien, que le chantier ferroviaire Lyon-Turin n’était pas abandonné.

Philippe D : Je pense que le retrait du gouvernement est lié au fait que nous n’avons pas les forces de l’ordre nécessaires pour évacuer et sécurisé pendant des mois un chantier aussi vaste. C’est une marche arrière difficile à admettre, non ?

L’aspect sécuritaire a bien évidemment compté dans la décision prise par l’exécutif. Tous les acteurs du dossier s’accordaient à dire qu’évacuer la zone de NDDL de ses zadistes et les empêcher d’y revenir nécessiterait la présence durable de plusieurs milliers de représentants des forces de l’ordre – certains évoquaient le chiffre de 3 000. Un effort financier et humain difficile à tenir alors que la France est sous la menace du terroriste et que les forces de l’ordre sont mobilisées depuis plusieurs années sur l’ensemble du territoire.

Thierry : Il semble que l’opinion soit plutôt favorable à la décision annoncée par le premier ministre. Est-ce que l’on ne surjoue pas un peu les aspects polémiques dans ce dossier ?

C’est le pari d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe : convaincre les Français que c’est le fait de prendre une décision qui est important et non pas la décision elle-même. Selon les sondages publiés depuis hier soir, mais qui méritent d’être affinés compte tenu du court délai dans lequel ils ont été réalisés, le pari semble pour l’instant gagnant, une majorité de personnes interrogées se déclarant satisfaites de la décision de l’exécutif.

Gigi : L’annonce de l’arrêt du projet est souvent présentée comme un déni de démocratie après le référendum. Pourriez-vous rappeler que ce référendum n’était pas unanime (46 % de non) et surtout sujet à caution du fait du périmètre de vote ?

Le référendum local décidé par François Hollande et organisé en 2016 a effectivement donné un résultat serré : le oui ne l’a emporté qu’à 55,17 % des voix. Concernant le périmètre du vote, il a été critiqué mais ses partisans estimaient qu’il fallait à un moment choisir et que consulter uniquement les habitants de Loire-Atlantique avait l’avantage de la cohérence.

Cet argument est néanmoins repris aujourd’hui par l’Elysée afin d’expliquer qu’Emmanuel Macron n’a pas changé d’avis sur le sujet par rapport à ses propos de campagne… mais qu’il ne maîtrisait pas l’ensemble des paramètres du dossier, et notamment celui des conditions du vote au référendum.

Emily : Le gouvernement n’a-t-il finalement pas pris la décision la moins coûteuse politiquement ? Hulot ne démissionne pas, la gauche et les écologistes approuvent, la tension baisse sur le terrain…

La décision prise par l’exécutif est sans doute celle qui est la moins risquée pour lui. Ces dernières semaines, les proches d’Edouard Philippe et d’Emmanuel Macron expliquaient que les deux options étaient étudiées en détail et que, in fine, ce serait celle qui comporterait le plus d’occurrences dans la colonne « + » qui l’emporterait. Les considérations politiques ont beaucoup pesé dans cette décision.

Rom21 : Cette décision ne permet-elle pas également à l’exécutif de donner des gages à la gauche de son électorat alors que la rhétorique de « président des riches » est toujours présente ? Inversement, ne peut-elle pas donner un nouvel élan à une opposition de droite qui met en avant le déficit d’autorité de l’Etat et le déni de démocratie ?

Il est difficile de répondre à cette question car le projet de NDDL transcendait le traditionnel clivage droite-gauche. Le président socialiste du conseil départemental de Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet, et la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland, faisaient partie des plus farouches soutiens au projet. De la même façon, dire que renoncer à un projet d’infrastructure est une position de gauche plutôt que de droite me semble un peu rapide.

Par contre, vous avez raison, le fait de donner satisfaction aux zadistes présents sur le site, qui ont exprimé leur joie à l’annonce du renoncement, et ce malgré une déclaration d’utilité publique et quelque 178 décisions de justice favorables au projet, donne un angle d’attaque idéal à la droite, qui peut facilement accuser Emmanuel Macron de ne pas être légitimiste.