L’année 2018 commence étrangement pour la France en République démocratique du Congo (RDC). Au sein du Quai d’Orsay, les diplomates naviguent entre inquiétude et étonnement après « la première opération de fake news » et « campagne de nuisance politique intentionnelle » visant la France. Une offensive aux commandants inconnus qui se déroule sur la Toile.

Le 2 janvier, sur les réseaux sociaux, le hashtag #BoycottFrance se propage à partir de plusieurs comptes de militants congolais opposés au maintien au pouvoir du président Joseph Kabila. Il s’accompagne de caricatures de Kash, un dessinateur populaire du quotidien Le Potentiel. « J’ai décidé de faire ces dessins en écoutant l’opinion publique », explique-t-il.

Sur la première caricature, « Les sponsors de la barbarie en RDC », le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, et son homologue espagnol, Mariano Rajoy, sont au côté de Joseph Kabila mitrailleuse en main. La scène fait référence à la répression des marches du 31 décembre 2017. « Le communiqué du Quai d’Orsay était très mou, raconte Kash, joint à Kinshasa. Puis on a appris que la France et l’Espagne bloquaient le communiqué de l’Union européenne condamnant la répression. La polémique a décollé. » Diffusée par l’édition africaine en ligne du journal La Libre Belgique, l’accusation portait sur « deux pays ayant des intérêts industriels au Congo ».

Ces rumeurs se fondent sur un passif français bien réel. Après une période de froid diplomatique sous François Hollande, l’entourage de Kabila se dit satisfait de la relation avec Paris depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macron. En juin, une délégation française a rencontré le président congolais dans la ville de Lubumbashi. La France, habituellement « porte-plume » des résolutions de l’ONU sur l’Afrique, défend là sa présence économique dans un pays en pleine crise politique. De quoi déchaîner la colère des internautes contre Air France, Orange, Total et Bolloré.

« On croyait à notre soft power »

Dans un deuxième dessin, les mêmes personnages sont qualifiés d’« héritiers de Léopold II », le roi des Belges à l’initiative de la colonisation du Congo. « L’escroc Macron » tient cette fois un baril de pétrole Total, allusion aux négociations en cours au sujet des gisements congolais du lac Albert, à l’est du pays, à côté des deux concessions ougandaises déjà aux mains du groupe français. M. Rajoy réclame quant à lui « le barrage d’Inga, caramba ! », une référence à l’éventuel plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique, pour la construction duquel un consortium espagnol est en lice. Les deux dirigeants piétinent un tapis de crânes entouré de collines de tombes : une imagerie symbolique très forte dans la région, qui renvoie au génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, et aux controverses autour du rôle de la France.

« Condamner ne suffit pas, unissons-nous pour une campagne #BoycottFrance au Congo et partout où les peuples africains sont opprimés avec la complicité de la France », écrit sur Twitter, le 2 janvier, le mouvement citoyen Lucha, né à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu. L’Institut français de Goma, inauguré en grande pompe en octobre 2017, est désormais comparé à une « cellule de renseignement française pour piller les minerais du Kivu ». Ce genre de lieu culturel est pourtant habituellement prisé des artistes comme Kash et des militants de Lucha, régulièrement reçus à l’ambassade de France.

« C’est un grave échec, car on croyait à notre soft power. On avait même acheté une imprimante 3D afin de fabriquer des prothèses de mains ! », se désole un cadre de la diplomatie culturelle. La France misait beaucoup sur cette implantation, surtout depuis l’éviction de l’Institut français du Rwanda. A Goma, la montée du sentiment anti-français inquiète. Les déplacements en voiture à plaque diplomatique française sont désormais limités.

« On fait face à une campagne de diffamation qui peut faire des dégâts réels », juge un cadre du Quai d’Orsay. Sous couvert d’anonymat, certains fonctionnaires, toujours prompts à voir la main de Paul Kagamé derrière chaque accusation visant la France en Afrique centrale, soupçonnent le Rwanda d’être derrière la diffusion de ces tweets hostiles. En fin d’année 2017, les deux pays ont connu un nouveau refroidissement de leurs relations après que la justice française a convoqué le ministre de la défense, James Kabarebe, mis en cause dans l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana.

Militaires à la retraite

Selon l’énième rumeur qui circule, l’Agence nationale de renseignement (ANR) de RDC bénéficierait d’un soutien appuyé de la DGSE. Un bruit alimenté par le fait que, d’après plusieurs sources diplomatiques à Kinshasa, la France avait fait retirer le nom de Kalev Mutond, le patron de l’ANR, de la liste des sanctions économiques de l’Union européenne.

Le Quai d’Orsay estime que cette campagne hostile se nourrit aussi des succès d’une société privée française, Themiis, qui gère le Collège des hautes études de stratégie et de défense de Kinshasa, inauguré par Kabila en juillet 2017. Trois promotions de hauts gradés sont sorties de ses formations dispensées en grande partie par des militaires français à la retraite. De quoi aiguiser les rivalités entre la France et la Belgique sur le terrain congolais, où l’ancienne puissance coloniale a interrompu sa coopération avec le régime de Kabila, qui réprime toute contestation et contraint à l’exil les principales figures de l’opposition.

« La France de Hollande nous recevait, nous soutenait et faisait tout pour libérer nos militants arrêtés par l’ANR, explique Floribert Anzuluni, coordinateur du mouvement citoyen Filimbi. On a appelé au boycott de la France pour mettre pression sur cette puissance qui, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macron, a une position bien moins claire que par le passé. »

« En RDC, la diplomatie française est dépourvue de véritable vision », déplore un diplomate européen. Elle semble en particulier soucieuse de ne pas prendre trop fortement position contre Kabila afin « d’éviter l’implosion du pays », au risque de donner l’impression de soutenir le régime.

« Alors que tout le monde se place contre Joseph Kabila, la France se positionne différemment de manière à garder son influence, observe un représentant des Nations unies en RDC. C’est l’un des rares pays européens à maintenir un canal de communication avec le régime. » Le Quai d’Orsay a cependant déclaré le 2 janvier, deux jours après la répression des manifestations du 31 décembre 2017 : « La France réitère son appel au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment le droit d’expression, d’information et de manifestation pacifique. »

L’année 2018 en RDC est censée se terminer par des élections. La France la commence avec difficulté et espère éteindre au plus vite la polémique. Kash dit attendre son carton d’invitation ou un appel de l’ambassadeur. Parfois, de simples dessins et quelques tweets peuvent susciter plus d’inquiétudes qu’un long discours.