Des parents d’élèves derrière le cordon de la police, près du lycée Hoërskool Overvaal, à Vereeniging, le 19 janvier. / GULSHAN KHAN / AFP

Devant le lycée sud-africain Hoërskool Overvaal, deux rubans jaunes de police, qui délimitent un no man’s land, entravent la route. D’un côté du ruban, des parents d’élèves blancs, épaulés en nombre par des membres de leur communauté, font le piquet. De l’autre côté, des parents d’enfants noirs protestent contre le refus de l’établissement d’accepter leur progéniture. Dans ce lycée situé à 50 kilomètres au sud de Johannesburg, depuis trois jours au centre de l’attention en Afrique du Sud, une rixe locale dégénère en débat national, et rouvre les plaies de l’Apartheid.

Alors que l’été austral bat son plein, les élèves sud-africains ont fait leur rentrée mercredi 17 janvier. Mais à Vereeniging, une bourgade d’apparence calme entourée par des champs, la route longeant le principal lycée public s’est muée en véritable champ de bataille. Injures racistes, manifestants bousculés et blessés, militants arrêtés, camion de police incendiée : ces scènes de chaos sont peu dignes d’un lieu d’enseignement.

Au cœur du problème se trouvent 55 élèves anglophones, noirs pour la plupart, résidents des alentours, que les parents souhaitent absolument inscrire à l’établissement secondaire le plus proche de chez eux. Or à Hoërskool Overvaal, l’enseignement se fait exclusivement en afrikaans. Langue des premiers colons, issue du néerlandais et créolisée, elle symbolise pour beaucoup l’oppression de la minorité afrikaner sur le reste du pays du temps de l’Apartheid.

« C’est une école publique, payée par nos impôts »

En 1976, la célèbre révolte de Soweto, tournant de la lutte contre le régime ségrégationniste, est déjà une réponse à la décision du gouvernement d’imposer l’afrikaans à l’école, alors que la majorité noire lui préférait l’anglais. Depuis la fin de l’Apartheid, et maintenant que l’euphorie des années Mandela est retombée, cette contestation revient au goût du jour. En 2015, un mouvement étudiant s’est violemment rebiffé contre le traitement de faveur dont bénéficient toujours ceux qui étudient en afrikaans. Dans la foulée, certaines universités ont adopté l’anglais comme langue d’enseignement.

« Nous ne disons pas qu’il faut supprimer l’afrikaans. Mais cette école doit aussi accueillir des enfants anglophones et leur fournir un enseignement en anglais. C’est une école publique, payée par nos impôts, d’abord et avant tout construite pour les résidents de cette zone », affirme Micah Mtalala, l’un des parents des 55 élèves rejetés. Le département provincial de l’éducation est de leur côté. Fin 2017, ce dernier a demandé à Hoërskool Overvaal d’accueillir les enfants concernés. « Le département est même prêt à envoyer des professeurs anglophones », précise-t-il.

Mais deux jours avant la rentrée, arguant d’un manque de place, l’établissement est allé en justice pour faire retoquer la décision. Furieux, les parents noirs se résolvent à battre le pavé. Très rapidement, des militants de l’ANC, le parti au pouvoir, et de l’EFF, le parti de gauche révolutionnaire, les rejoignent, et l’enjeu prend une tournure politique nationale. Une altercation avec un parent d’élève blanc est largement relayée par les médias. Et alors que la situation s’envenime, la police disperse les manifestants avec des balles en caoutchouc, des grenades neutralisantes, et fait quelques blessés.

« Notre nation blanche peut se battre pour notre langue »

Sur les réseaux sociaux, la situation devient hors de contrôle. Une militante blanche de l’ANC, qui apporte son soutien aux parents d’élèves éconduits, fait l’objet d’insultes et d’appels au viol par des extrémistes blancs. En face, les radicaux de l’EFF chantent « tirons pour tuer le Boer », le fermier afrikaner. Jeudi, la violence franchit un nouveau pallier lorsqu’un manifestant noir jette un cocktail Molotov sur un camion de police, qui prend feu. Au total, sur deux jours, presque 40 personnes sont arrêtées.

Au troisième jour, vendredi, plusieurs dizaines d’Afrikaners ont tenu à venir afficher leur soutien à l’école, avec des balais et des battes de cricket. « Nous voulons en faire un exemple et montrer à l’Afrique du Sud que notre nation blanche est solidaire et peut se battre pour notre langue », peut-on lire sur un message circulant sur WhatsApp, écrit en afrikaans, enjoignant la communauté à se mobiliser.

Sur place, ils ont instruction de ne pas parler aux médias, de rester calme, et d’éviter les débordements. Pierre Ronquest, qui intervient dans l’établissement comme coach psychologique, finit par venir les saluer. Il propose de diriger une prière collective, et lit à voix haute un passage de la Bible sur son smartphone. « Nous sommes pacifiques », amorce-t-il. « Oui, et c’est parce qu’on est blancs », lance un homme de l’assistance, et tant pis pour les dérapages.

« C’est l’Afrique du Sud, ils ont l’habitude »

« On souhaite seulement que ce lycée reste en afrikaans, explique Vanig F., un parent d’élève membre du conseil d’administration, qui essaie d’arrondir les angles. Toutes les écoles afrikaans sont devenues bilingues, ou ont été converties en anglais. Il en reste seulement deux, et elles sont complètement pleines. »

Simple remarque ou pire provocation, à ses côtés, Hardus Visagie, également du conseil d’administration, se montre plus tranchant. « C’est la seule école du sud de la province où 100 % des élèves ont leur baccalauréat », ajoute-t-il, avant d’être traité de « raciste » par une horde de militants de l’ANC.

« Ces gens sont des oppresseurs blancs. Ils pensent qu’un enfant noir n’est pas digne de fréquenter ce lycée, enrage Bafana Mtimkulu, dont le fils a été rejeté. Soit ils se décident à faire partir d’une société diverse dans laquelle chaque citoyen est égal, soit ils partent de cette école qui a été construite pour tout le monde. »

De l’autre côté de la grille, les premiers concernés, les élèves, continuent leurs cours comme si de rien n’était. On ne connaîtra pas leur avis. Leurs parents assurent qu’ils ne sont pas affectés par les batailles qui prennent place devant leurs salles de classe. « C’est l’Afrique du Sud, ils ont l’habitude », lance un père, avant d’être rappelé à l’ordre par l’un de ses congénères.