Le Louvre Abu Dhabi en novembre 2017 lors de son inauguration. / KAMRAN JEBREILI/AP

C’est le genre de « détail » qui fait tache. A peine deux mois après l’ouverture en fanfare du Louvre Abu Dhabi, une carte exposée dans le musée des enfants qu’abrite l’institution fait polémique. Et pour cause : une presqu’île a disparu, comme engloutie par la mer. Il s’agit tout bonnement du Qatar, gommé de la péninsule arabique. Un choix étonnant pour un musée qui se veut universel, qui plus est dans une section qui se prétend éducative… Une petite pierre supplémentaire dans l’escalade des tensions entre le Qatar et les Emirats arabes unis, qui, aux côtés de l’Arabie saoudite, ont rompu les liens diplomatiques avec Doha.

Le 17 janvier, un article du Washington Institute for Near-East Policy (Winep), un think tank pro-israélien basé à Washington, met le feu aux poudres. Son auteur, Simon Henderson, y signale la suppression du Qatar de la carte accrochée dans l’espace pédagogique du Louvre Abu Dhabi, indiquant qu’une telle ­décision est « probablement incompatible avec l’accord permettant à Abou Dhabi d’utiliser le nom du Louvre ».

Depuis, la controverse a enflé sur les ­réseaux sociaux arabes. Le 19 janvier, la présidente des musées du Qatar, Sheikha Al Mayassa Al-Thani, a interpellé le Louvre sur Twitter : « De tout temps, les musées ont été une source de référence, où les gens avaient ­accès au savoir et apprenaient l’histoire du monde grâce aux objets exposés. Bien que la notion de musée soit nouvelle à Abou Dhabi, sûrement le Musée du Louvre est en désaccord avec ceci ? » Sollicités, les responsables du ­Louvre et du Louvre Abu Dhabi n’ont pas ­souhaité répondre à nos questions.

« Une pratique d’un autre âge »

Gauchir les cartes est une pratique classique au Proche-Orient. Lors de l’exposition, en 2008, de la collection d’art islamique de David Khalili à Abou Dhabi, la mention « golfe Persique » avait été recouverte d’un sticker dans le catalogue. « Mais supprimer un bout de terrain, c’est assez neuf et presque enfantin », observe le politologue Alexandre Kazerouni, auteur du Miroir des cheikhs (PUF, 2017). Pour Abdellah Karroum, directeur du Mathaf, le musée d’art moderne et contemporain de Doha, « la distorsion de cartes est une pratique d’un autre âge ». « Le Mathaf est un musée dédié à tous les artistes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Nous avons actuellement des expositions avec des artistes saoudiens, comme Abdulhalim Radwi, ou émiratis, tel Hassan Sharif, et nous les célébrons au même titre que tous les autres artistes de la collection, à la valeur de leurs œuvres », confie-t-il.

Selon l’accord signé en 2007, le Louvre doit être consulté à toutes les étapes de la conception et de la réalisation du musée, y compris pour les espaces pédagogiques. Pour Alexandre Kazerouni, cet incident est à rapprocher de l’achat par les autorités d’Abou Dhabi du Sal­vator Mundi, le tableau attribué à Leonard de Vinci qui a récemment battu tous les ­records : « La partie française n’était pas informée de cet achat, dont on ne sait toujours rien des dessous. Signe que le pouvoir émirati s’est approprié politiquement le musée. »