Une mère brandit le portrait de son fils, Centreaméricain disparu alors qu’il marchait vers Mexico, en décembre 2015. / EDGARD GARRIDO / REUTERS

Saúl en est mort. Ce jeune chauffeur de bus hondurien s’était réfugié au Mexique pour fuir la menace des Maras, les gangs centraméricains ultraviolents. Les services d’immigration mexicains l’ont pourtant renvoyé au Honduras, où il a été assassiné quelques jours plus tard… C’est l’un des drames décrits dans un rapport publié, mardi 23 janvier, par Amnesty International (AI) qui liste les graves violations du droit d’asile par les autorités mexicaines.

« Au lieu de fournir à ces personnes la protection à laquelle elles ont droit, le Mexique leur tourne le dos en toute illégalité », accuse Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à AI. L’organisation de défense des droits de l’homme dénonce une « crise cachée », menaçant les 500 000 clandestins qui franchissent chaque année la frontière sud du Mexique pour se rendre aux États-Unis, selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

La violence, raison de l’exil

Basé sur les témoignages de 500 Centraméricains, le rapport d’AI assure que l’Institut migratoire mexicain (INM) « viole systématiquement » le principe international de « non-refoulement » qui interdit l’expulsion d’un demandeur d’asile vers un autre Etat, où sa vie est en danger. Intitulé Ignorées et sans protection - Le mortel retour des personnes centraméricaines sollicitant l’asile, le rapport révèle que 84 % des migrants détenus au Mexique ne souhaitent pas retourner dans leur pays, la plupart justifiant la « violence » comme raison principale. Le Guatemala, le Salvador et le Honduras, affichent des taux d’homicides quatre à huit fois supérieurs au niveau « épidémique » fixé par l’Organisation mondiale de la santé (10 meurtres pour 100 000 habitants).

« Votre vie ne nous intéresse pas, notre travail est de vous expulser », a répondu un agent de l’INM à un Salvadorien de 25 ans. Les abus commencent dès l’arrestation des migrants. Sur les 297 clandestins détenus, interrogés par AI, seuls dix ont été informés sur leur droit d’asile, conformément à la loi. « Les agents les ignorent, voire les humilient », raconte AI. Or, ils sont tenus d’identifier les demandeurs d’asile, avant de contacter la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés (Comar), chargée de traiter leur cas.

Réclusion d’enfants

Même négligence au sein des 54 centres de rétention que compte le Mexique, où les fonctionnaires de l’INM demandent « automatiquement » aux migrants de signer des documents fixant leur « retour assisté » sans en expliquer le contenu. « L’agent m’a dit que si je ne signais pas, je n’aurais pas à manger », raconte une Hondurienne de 23 ans. Pis, des réfugiés « sont expulsés alors que leur demande d’asile est en cours auprès de la Comar ». AI alerte aussi sur des « rétentions prolongées durant des mois (…), dont la réclusion d’enfants ou de bébés ».

Aux « détentions arbitraires » s’ajoutent les « mauvais traitements » infligés par des agents de l’INM, dont des « coups », des « humiliations » et mêmes des « faveurs sexuelles ». Mais les pires exactions restent celles des forces de l’ordre, dont ont été victimes 68 % des Centraméricains interpellés par la police. « Ils m’ont frappé, m’ont envoyé des décharges électriques et m’ont pris mon argent », déclare l’un d’eux.

Mi-janvier, le réseau des organisations de défense des migrants (Redodem) a aussi publié un rapport qui tire le signal d’alarme. Il dénonce une politique migratoire « à deux visages », avec d’un côté un discours officiel respectueux des droits de l’homme et de l’autre des abus sur le terrain. Sans compter que les migrants sont aussi victimes du crime organisé mexicain, qui les vole, les viole ou les enlève. Pourtant, la part de ceux souhaitant rester au Mexique décolle. Selon Redodem, elle est passée de 15 % à 19,6 % entre 2015 et 2016. Les récentes mesures anti-immigration du président américain, Donald Trump, pourraient vite renforcer la tendance. Lundi 22 janvier, dans une interview accordée au quotidien El Universal, le père Alejandro Solalinde, figure emblématique de la protection des migrants, n’a pas hésité à dénoncer « un manque de volonté politique » qui provoque un « holocauste » migratoire.