Hugh Masekela lors du 21e festival de jazz de Sainte-Lucie, en 2012. / Andrea De Silva / Reuters

Le trompettiste sud-africain Hugh Ramopolo Masekela (4 avril 1939 – 23 janvier 2018) est mort des suites de « ce cancer dont on ne meurt pas », le cancer de la prostate. Il avait 78 ans, transmettait une énergie vitale très réjouissante et portait beau.

En 2015, il avait participé au Jour du Jazz. Pour le reste, il n’est pas impossible qu’une des dernières fois qu’on l’ait vu, à l’insu de tous et dans l’ignorance du public, ce soit au légendaire Caveau de la Huchette de Dany Doriz, ce temple de la danse et du jazz traditionnel. Lequel, de Ferré, Brassens ou Ted Curson, au tournage de Lalaland, en passant par Panama Francis, aura accueilli la terre entière. Insituable autant que brillant, Hugh Masekela s’y sentait chez lui. Un de ses albums s’intitule Home is Where The Music Is (1972).

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Trevor Huddleston, un curé natif de Brighton, œuvrait contre l’apartheid dans les townships. Masekela a du souffle, du corps, le saint homme lui offre une trompette. Les prêtres ont ce genre de préscience. Nous sommes en 1954. La trompette avait appartenu à Louis Armstrong. Hugh, qui venait de voir un western s’exclama : « Hugh ! Je me sens comme un poisson dans l’eau. » En 1960, il quitte les délices de l’apartheid pour rejoindre la Guildhall School of Music à Londres. Et de là, file à New York City, où Harry Belafonte, Dizzy Gillespie et Miles Davis l’accueillent comme le frère qu’il est. Solidarité aussi politique que musicale.

« Versatile »

En 1962, grande consécration, Trumpet Africa paraît sous son nom. Est-ce l’album où il figure en photo, dignement juché sur un éléphant ? Grazing in The Grass (1968) se faufile dans les palmarès et passe, dans le dernier virage, devant le Jumping Jack Flash des Rolling Stones.

La beauté de sa sonorité, sa puissance, quelque chose de bleu qui vient d’avant le jazz, sa courtoisie et son caractère exubérant, en font un musicien qu’appellent les jeunes loups (les Byrds, Paul Simon), et parfois les jeunes renards. Doué pour le succès, il fréquente les « top lists » de la musique pop (Up, Up and Away). Sa voix, ses interventions cuivrées (trompette, bugle, trombone, cornet) préfigurent en douce l’afro-jazz. Très disponible et musicalement intelligent (« versatile », en américain, tout aussi latin que le « versatile » français, n’a pas sa connotation négative).

En 1987, Bring Him Back Home précède de cinq ans la libération de Nelson Mandela dont la composition est devenue l’hymne de soutien officiel

A l’instar de Abdullah Ibrahim (« Dollar Brand ») adoubé par Duke Ellington ; du « blanc » Chris McGregor à la tête de sa très noire légion de Brotherhood of Breath (“la Fraternité du souffle” : quel intitulé, messeigneurs !), Hugh Masekela est un infatigable ambassadeur de la lutte anti-apartheid. En 1987, Bring Him Back Home précède de cinq ans la libération de Nelson Mandela dont la composition est devenue l’hymne de soutien officiel. Comme de bien entendu, dès la libération du pays, c’est Johnny Clegg, ce Valentin-le-désossé pour surboums versaillaises, dit sans gêne par l’idéologie mondiale le « zoulou blanc », qui ramasse la mise.

Est-ce en son honneur que Masekela avait triomphé en 1975 avec Colonial Man ? Ses titres devraient inspirer aux jeunes compositeurs européens, de plus en plus adeptes d’un dadaïsme dodu, une sérieuse remise en question : Grrrr, en 1966, The Americanization of Ooga Booga (enregistré au Village Gate, la même année), ou l’éloquent : I Am Not Afraid (1974).

Après le massacre de Soweto, il offre son Soweto Blues à Miriam Makeba qui fut son épouse. Comme elle, il se rapproche des musiciens africains (Ouest, Centre, Sud), invente un studio itinérant à la frontière sud-africaine, tourne avec Paul Simon dont l’orchestre est solide (Howard Johnson). Masekela enregistre avec des musiciens et chanteurs sud africains, rentre au pays à la fin de l’apartheid.

Hugh Masekela - Bring Him Back Home (Nelson Mandela) live
Durée : 04:41

« Un baobab est tombé »

Un film tonique, Amandla ! : Une révolution à quatre voix, règle une fois pour toutes les pleurnicheries des foutriquets privilégiés (plus personne ne milite, on ne s’engage pas, la vie est morose). En zoulou, Amandla dit à la fois le pouvoir et la puissance. On y voit le compagnon de toujours Abdullah Ibrahim, Vusi Mahlasela, Miriam Makeba, Hugh Masekela, etc. Beaucoup de chansons de combat, la présence de dramaturges, poètes et militants, tout sonne juste. Si vous aimez la musicologie, ne ratez pas le commentaire rédigé dans l’encyclopédie rédigée par les naunautes eux-mêmes : impayable. Tiens ! son nom n’apparaît pas dans le dictionnaire du jazz (Bouquins, Laffont).

Dans son autobiographie, Grazin’in The Frass : The Musical Journey of Hugh Masekela, le compositeur raconte ses luttes anti-apartheid, ses combats pour Mandela, ses libérations, son dialogue épineux avec l’alcool dans les années 1980, et sa vie en musique. Ce prince dont, hier encore, personne ne connaissait le nom, fait figure ce matin de légende. Dans son pays, dans toute l’Afrique et dans le monde du jazz élargi, sa disparition suscite une émotion prévisible : « On n’oubliera pas sa contribution à la lutte pour la libération » (Jacob Zuma, président). « Un baobab est tombé » (Nathi Mththwa, ministre de la culture). Il est mort entouré des siens à Johannesbourg. Il était né à Whitbank. C’est triste un baobab qui tombe.