Le président algérien Abdelaziz Boutéflika et l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, en mars 2007 à Alger. / FAYEZ NURELDINE/AFP

Chronique. La récente visite du ministre nigérian des affaires étrangères Geoffrey Onyeama à Alger a permis de dissiper de profonds malentendus entre les deux pays, accumulés depuis 2015 et l’arrivée au pouvoir de Muhammadu Buhari au Nigeria. Les rencontres d’Onyeama avec son homologue Abdelkader Messahel et avec le premier ministre Ahmed Ouyahia semblaient nécessaires pour que l’axe Alger-Abuja, autrefois fondamental pour régler les affaires du continent, puisse repartir sur une dynamique nouvelle.

Jadis vibrant, le lien entre ces deux grandes puissances du continent s’est fortement distendu depuis le départ du pouvoir d’Olusegun Obasanjo, en 2007. Arrivés quasiment la même année à la tête de leur Etat respectif, Abdelaziz Bouteflika et Olusegun Obasanjo ont été les promoteurs d’un panafricanisme volontariste, via notamment la création du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), aux côtés du Sénégalais Abdoulaye Wade et du Sud-Africain Thabo Mbeki.

Ligne coupée entre Abuja et Alger

Les chefs d’Etat nigérian et algérien avaient aussi souhaité relancer des grands projets structurants pour l’Afrique de l’Ouest comme celui du gazoduc géant Trans Saharan Gas Pipeline (TSGP), reliant le delta du Niger au nœud gazier algérien de Hassi R’mel. Le TSGP aurait emprunté le territoire nigérien et aurait permis d’approvisionner l’Europe par l’intermédiaire des gazoducs déjà existants entre l’Algérie d’un côté et l’Italie et l’Espagne de l’autre.

Seulement, aujourd’hui, même si ce projet est épisodiquement évoqué par les deux parties, il semble enterré. Raisons de cet échec : l’insécurité dans la région productrice au Nigeria, où les infrastructures énergétiques sont régulièrement visées par des groupes en butte à l’Etat fédéral, et l’instabilité du nord du Nigeria et de plusieurs régions au Niger, du fait des actions des mouvements terroristes tels que Boko Haram.

Si l’abandon – non verbalisé – de ce projet est un coup dur pour les deux pays ayant les plus importantes réserves de gaz du continent, des décisions beaucoup plus politiques sont venues directement dégrader leur relation. Début 2016, alors que les Etats candidataient pour occuper les dix postes de commissaires de l’Union africaine, renouvelés en janvier 2017, le Nigeria s’était rangé derrière le candidat algérien Smaïl Chergui afin qu’il puisse effectuer un deuxième mandat sur le fauteuil « paix et sécurité », ce poste étant traditionnellement une chasse gardée algérienne.

Seulement, quelques mois plus tard, alors que la voie semblait dégagée pour M. Chergui, le Nigeria décidait au dernier moment de pousser la candidature de la peu connue Fatima Kyari Mohammed. Cette dernière, proche de l’entourage du président nigérian Muhammadu Buhari, n’a jamais été diplomate ni ministre, des niveaux de responsabilité souvent occupés par les futurs commissaires de l’Union africaine. Mme Kyari, petite quarantaine d’années, travaille dans l’intermédiation et la résolution de conflits via son cabinet de conseil.

Même si Alger ne l’a jamais laissé transparaître dans sa communication officielle, il a très mal pris qu’un allié traditionnel présente un candidat. Finalement, le retard pris par la campagne de Fatima Kyari Mohammed pour recueillir des soutiens dans les capitales africaines, et le peu d’enthousiasme que suscitait sa candidature au Nigeria, a rendu la réélection de M. Chergui relativement facile. Mais le mal était fait, et la relation entre les deux géants africains, abîmée par cet épisode.

Le Maroc rapproche malgré lui

En 2017, l’Algérie s’est inquiétée que le Maroc puisse devenir membre de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), après que le royaume a réussi à réintégrer l’Union africaine en janvier 2017. La visite réussie du roi du Maroc, Mohammed VI, à Abuja, en décembre 2016, avait fait craindre à Alger un abandon progressif de l’une des positions habituelles de la diplomatie nigériane : le soutien à la République arabe sahraouie démocratique (RASD), dont Alger est l’un des principaux soutiens. L’accord de principe des membres de la Cédéao pour l’adhésion du Maroc lors du sommet de Monrovia en juin 2017 avait également de quoi accréditer l’hypothèse d’un rapprochement Rabat-Abuja et d’un changement de position du Nigeria quant à la RASD. Cependant, cela ne fut pas le cas. Le Nigeria n’étant représenté à la réunion de Monrovia que par son chargé d’affaires en Sierra Leone, il était aisé d’en déduire qu’Abuja éprouvait déjà une certaine gêne avec la candidature marocaine à la Cédéao.

Or, sans l’accord du Nigeria qui pourvoit à plus de la moitié du budget de l’organisation sous-régionale, il est impossible pour le Maroc d’en devenir membre. Le peu d’enthousiasme nigérian démontré à Monrovia a été confirmé par la réunion de la Cédéao de décembre 2017, au siège de l’organisation à Abuja, à laquelle il a été décidé que le Maroc devra encore attendre avant de devenir membre. Malgré les raisons d’ordre juridique invoquées pour justifier ce report, c’est bien des enjeux politiques propres au Nigeria qui ont présidé à surseoir la procédure d’adhésion.

Cette position nigériane a été de nature à raffermir les liens avec l’Algérie, qui a profité de l’épisode pour relancer la relation bilatérale en invitant le ministre nigérian des affaires étrangères afin de l’associer à la préparation du sommet de l’Union africaine se tenant les 28 et 29 janvier à Addis-Abeba. L’objectif étant, cette fois-ci, que les deux géants africains parlent d’une seule et même voix.

Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).