Carrefour a présenté mardi 23 janvier un plan de restructuration à l’horizon 2022 qui prévoit, notamment, 2 400 suppressions de poste au siège, via des départs volontaires. / ERIC PIERMONT / AFP

Sept mois après son arrivée aux commandes de Carrefour, le nouveau PDG Alexandre Bompard a présenté, mardi 23 janvier, son plan de restructuration à l’horizon 2022. Pour redresser le géant de la grande distribution, en perte de vitesse, il prévoit, notamment, 2 milliards d’euros de réduction des coûts dès 2020 et un plan de 2 400 départs volontaires en France.

Delphine : Il y a quelques mois, Georges Plassat, l’ex-patron de Carrefour, était porté aux nues. Aujourd’hui, on dit le groupe en pleine crise. Que s’est-il passé ?

Cécile Prudhomme : En réalité, les difficultés du groupe ne datent pas d’hier et l’ancien patron Georges Plassat (qui a cédé sa place à Alexandre Bompard, ancien patron de la Fnac, en juillet 2017) évoquait d’ailleurs les difficultés rencontrées en interne pour transformer l’entreprise, notamment dans le domaine du numérique.

En cinq ans, l’ancien PDG a accompli un travail de désengagement à l’international d’entités qui perdaient de l’argent et il a favorisé l’essor des petits formats de magasins. Il n’a pas, en revanche, réussi le travail de consolidation entre les formats de magasins et le Web qui aurait permis à Carrefour d’être mieux armé face à la concurrence.

Julio : Avec ce plan, Carrefour est-il très en retard par rapport à sa concurrence directe ou veut-il prendre de l’avance ?

Le groupe fait face à des difficultés croissantes sur ses principaux marchés depuis plusieurs années. Et il est confronté à une concurrence très agile qui lui fait perdre des parts de marché, autant de la part d’acteurs historiques comme Leclerc, qui a fait des prix bas son fer de lance, que de celle des spécialistes venus du Web comme Amazon. Le groupe, dans une position délicate, devait agir rapidement.

François : Carrefour perd-il de l’argent ou fait-il toujours des bénéfices ?

Le bénéfice de l’année 2017 de Carrefour n’a pas encore été publié. Il le sera le 1er mars avant l’ouverture de la Bourse. Pour l’heure, seul le chiffre d’affaires annuel de l’année dernière, a déjà été annoncé. Et il est pour le moins décevant à 88,24 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ainsi en 2017, la croissance du groupe, à nombre de magasins comparables, a ralenti, à 1,6 % contre 3 % en 2016.

Surtout, le groupe perd des parts de marché (à 20,5 %) en France, le pays où il a réalisé en 2017 45,4 % de son chiffre d’affaires, notamment face à l’enseigne Leclerc (21 % selon le cabinet Kantar Worldpanel), alors qu’il était encore premier en 2016.

En 2016, son bénéfice net s’était affiché en forte baisse, pénalisé par des éléments exceptionnels, et la détérioration de la rentabilité opérationnelle de la Chine et de la France (– 23,87 % pour le bénéfice net publié du groupe à 746 millions d’euros, et – 7,4 % de baisse à 1,03 milliard, une fois retraité des éléments exceptionnels, c’est-à-dire en ne tenant pas compte de ces derniers).

Luc : Au total, combien de postes vont-ils être supprimés ?

Carrefour a annoncé la suppression de 2 400 postes au siège sur 10 500, sur la base du volontariat. A ce plan de réduction d’effectifs, s’ajoutera la cession, ou la fermeture, du parc des 273 magasins Dia, dans lesquels 2 100 personnes travaillent. Carrefour a précisé que, pour au moins la moitié des personnels de ces magasins, « l’entreprise favorisera systématiquement une offre de reclassement au sein du groupe ».

Le groupe n’a rien annoncé concernant les employés des autres magasins.

Au total, fin 2016, Carrefour employait 384 151 collaborateurs dans le monde, dont 115 000 en France (160 000 en comptant les franchisés).

Matthieu : Y a-t-il réellement 2 400 personnes chez Carrefour qui « souhaitent » quitter l’entreprise ?

Il est probable, en effet, qu’il n’y ait pas spontanément 2 400 personnes qui souhaitent quitter l’entreprise. Des négociations s’ouvriront prochainement avec les organisations syndicales pour définir concrètement les conditions du plan social d’entreprise.

Rosy : La mue vers le numérique de Carrefour n’est-elle pas très tardive comparativement à d’autres enseignes de la distribution dans le monde ?

En effet. Ces dernières années, le groupe a empilé des acquisitions de sites Internet, sans avoir une vision d’ensemble de ce que souhaitent réellement ses clients. D’autres enseignes françaises ont avancé plus rapidement dans ce domaine, et notamment sur le format du drive, qui permet de récupérer dans sa voiture les courses commandées sur Internet.

Florence : Il y a eu des rumeurs de rachat de Carrefour par Amazon, ce plan ne serait-il pas destiné à bien « habiller la mariée », c’est-à-dire augmenter la valorisation de Carrefour avant la mise en vente ?

Il y a eu en effet de nombreuses rumeurs de rachat en 2017, notamment car Amazon a approché plusieurs enseignes de la grande distribution pour nouer des alliances ou des partenariats. Leclerc et Système U l’ont confirmé. Mais, à ce jour, aucune d’elles n’a abouti. Amazon cherche notamment des partenariats pour avoir accès à de meilleures conditions d’achat de ses produits alimentaires, ou à s’associer à un réseau physique pour que ses clients puissent retirer leurs colis en magasins.

Kate : Au-delà de problèmes spécifiques à Carrefour, cette décision ne marque-t-elle pas le début de la fin de l’ère des super et hypermarchés ? Est-ce un modèle qui a vécu ?

Le modèle de l’hypermarché ne trouve plus toujours son public (concurrence de l’Internet, magasins trop grands, etc.) et doit en effet se transformer. Mais, d’une manière générale, il draine encore des clients, qui fréquentent aussi les galeries marchandes.

Carrefour a d’ailleurs décidé de ne fermer aucun de ses 247 hypermarchés en France, mais d’en réduire la taille, au cas par cas pour les plus grands d’entre eux, et de modifier l’organisation des rayons en mettant l’accent sur les produits alimentaires et le bio.

En revanche, concernant les supermarchés, qui sont des modèles de plus petite taille, le PDG de Carrefour a précisé ce matin qu’il s’agissait, avec les magasins de proximité, d’un « format de conquête pour le groupe ».

Sandra : Pourrait-on avoir plus de précisions sur ce grand plan « bio » annoncé par Carrefour et sur le partenariat avec le WWF ?

Constatant une forte demande des consommateurs pour le bio et les produits plus sains, notamment à la suite des différents scandales dans l’industrie agroalimentaire, Carrefour a décidé d’accroître son offre de produits bio dans ses magasins.

La production est actuellement insuffisante et les distributeurs font régulièrement face à des difficultés d’approvisionnement. Pour sécuriser ses achats dans l’avenir (l’objectif de Carrefour est de réaliser 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le bio en 2022), le groupe a décidé de remonter le processus en amont, en aidant les producteurs à se reconvertir à l’agriculture biologique.

Un partenariat a été noué avec l’ONG WWF (Fond mondial pour la nature) sur le financement de la conversion au bio, qui permettra de retrouver des produits issus de ce processus avec un étiquetage particulier, estampillé WWF, en magasin. Le groupe utilisera également des moyens issus de la Fondation Carrefour pour financer des projets d’agriculture biologique.