Documentaire sur Arte à 20 h 50

Les quatre soeurs (1/4) - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31

Des trois cents heures d’entretiens qu’il avait réalisées avec des survivants des camps nazis, Claude Lanzmann avait tiré Shoah, film monument de neuf heures trente sorti en 1985, qui transforma la compréhension de l’histoire de l’extermination des juifs d’Europe. Depuis, il n’a cessé d’extraire de nouveaux films de ce matériau, mettant en lumière des histoires qui expriment la nature impensable de ce que futcet épisode tragique– la révolte des prisonniers du camp d’extermination de Sobibor (Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, 2001), le combat du résistant polonais Jan Karski, qui tenta en vain d’éveiller la conscience de Roosevelt et de dignitaires américains sur la réalité de la Shoah (Le Rapport Karski, 2010), la responsabilité de Benjamin Mur­melstein, président du conseil juif du ghetto de Theresienstadt, qui revient sur les dilemmes moraux vertigineux qui furent alors les siens (Le Dernier des injustes, 2013, qu’Arte rediffuse à 23 h 20).

Présenté en première européenne à la Viennale, en octobre 2017, Les Quatre Sœurs est un quatuor féminin. Quatre films ­reposant chacun sur le témoignage d’une rescapée de la Shoah. Il y a d’abord la douce Ruth Elias, Tchèque d’origine dont le récit ­incroyablement riche en rebondissements s’avérera le plus éprouvant de tous, laissant affleurer au fil des chants à l’accordéon qu’elle offre en guise de ­respiration un instinct de vie ­exceptionnel, qui finira broyé par l’impitoyable Josef Mengele, médecin SS à Auschwitz.

Les quatre soeurs (3/4) - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31

La vieille paysanne polonaise Ada Lichtman raconte, elle, sa déportation à Sobibor après quelques mois passés aux premières loges de ce qu’on a appelé la « Shoah par balles », fusillades massives de juifs. Affectée au nettoyage des vêtements des déportés, elle était aussi chargée de remettre à neuf les poupées des enfants juifs que les soldats du camp venaient récupérer pour leur progéniture.

Dans le récit que Paula Biren fait de son adolescence au ghetto de Lodz, en Pologne – elle eut la chance d’être envoyée dans une ferme où elle mangera à sa faim –, avant d’être affectée à la police du ghetto, c’est la culpabilité des survivants qui est interrogée, et mise en perspective avec celle des puissances occidentales qui ont laissé prospérer la machine de mort ­nazie. Ces questions sont aussi au cœur du récit d’Hanna Marton, Transylvanienne d’origine. Elle échappa à la solution finale à la ­faveur d’une négociation entre Adolf Eichmann et Rudolf Kastner, qui aboutit à la constitution d’un convoi d’un peu plus de 1 600 juifs qui seront exfiltrés en Palestine contre de l’argent.

Lanzmann met ici en lumière la part féminine du martyre des déportés. Ruth Elias et Paula Biren figuraient dans le film d’origine, mais leurs interventions étaient courtes, au service d’un récit plus vaste, sur le fonctionnement de la machine de mort. Les histoires de jeunes filles, de viols, d’enfants, de bébés qui arrivent avec elles, l’inscription des dilemmes moraux, de la douleur, de la culpabilité, de la révolte, de la colère, dans des voix, dans des gestes, sur des visages ­féminins, étaient restées hors champ. En prenant acte de ce vide, Les Quatre Sœurs vient le combler, comme à point nommé.

Les Quatre Sœurs, de Claude Lanzmann (Fr., 2017, 89 min et 52 min). Les derniers volets seront diffusés mardi 30 janvier à 20 h 50.