Ils parlent « langages de code » comme d’autres feraient le récit de leurs dernières conquêtes. « Je suis tombé amoureux de Ruby [un langage de programmation] dès que je suis arrivé ici, lance Moses Okemwa, les yeux brillants et les mains agitées. « C’était tellement clair, tellement bien fait ! Mais ensuite j’ai découvert Python, Android, Java ! », liste gaiement ce jeune homme de 27 ans en pull à capuche gris, arborant une barbe courte et des petites lunettes noires.

Présentation de notre série : La classe africaine

Sa ferveur est partagée. A l’école Moringa de Nairobi, les étudiants affichent le sentiment d’être au bon endroit, au bon moment. Si Moses n’a jamais quitté cet établissement où il est devenu professeur, la majorité des jeunes qui pianotent aujourd’hui sur leur ordinateur portable, répartis en petits groupes ou isolés sur des sofas bricolés avec des palettes, rejoindront d’ici quelques semaines les start-up qui fleurissent dans la vibrante capitale kényane.

Infographie "Le Monde"

« Emmagasiner le plus possible ! »

Audrey Cheng, une ancienne du fonds d’amorçage local Savannah Fund, a cofondé cette école privée sur le constat d’un déficit de main-d’œuvre qualifiée. « Les start-up que je finançais manquaient cruellement de compétences. J’ai même rencontré une société qui faisait venir ses développeurs d’Inde ! », raconte cette Américaine qui a lancé Moringa en 2014 avec Frank Tamre, un Kényan alors salarié chez Intel.

Depuis, l’école a formé 500 élèves, pour lesquels elle revendique un taux de placement de 95 %. Un chiffre rare dans un pays où le chômage des jeunes est un fléau, notamment chez les diplômés. « A la sortie de l’université, nous ne connaissons que la théorie, ici j’acquiers des compétences techniques », argumente Peter Maina. Après une expérience décevante dans une banque d’Eldoret, au nord-est du pays, ce jeune homme de 28 ans rêve d’intégrer une start-up pour « évoluer et grandir avec elle ».

Les élèves déboursent 1 600 dollars (1 300 euros) pour devenir développeur en seulement vingt semaines. Intensif. Virginia Ndung’u, 23 ans, admet que les premiers jours furent « difficiles » : « On part de zéro. Mais on s’en sort, pas à pas, et comme la formation est courte, on emmagasine le plus possible» Focalisée sur des cas pratiques, la formation veut pousser à l’autonomie et à la ténacité. « Quand ils arrivent, ils ne savent même pas ce que signifie html, et à la fin, ils m’apprennent des techniques que je ne connaissais pas ! », savoure Moses.

Ciblage du marché local

A la sortie de l’école, les étudiants espèrent gagner entre 40 000 et 60 000 shillings mensuels (320 à 480 euros), soit le salaire plancher de la classe moyenne. Contrairement à des écoles concurrentes comme Andela, un programme financé par Mark Zuckerberg qui place majoritairement ses diplômés auprès d’entreprises américaines, Moringa se focalise sur le marché local. Un positionnement qui a séduit Khalid Hashi, jusqu’ici salarié de l’entreprise familiale, dans la ville côtière de Mombasa. « Mon but est de développer mon savoir-faire ici pour en faire aussi bénéficier ma communauté », souligne ce Kényan somali qui rêve de monter un jour sa propre école de codage sur la côte.

Ces compétences sont en effet recherchées bien au-delà du digital, un secteur restreint. « Les banques et les industries ont aussi besoin de développeurs et de plus en plus d’entreprises s’installent ici », affirme ainsi Audrey Cheng.

Son constat dépasse largement les frontières du Kenya. L’entreprise, qui ne dévoile pas son chiffre d’affaires, lève actuellement « plusieurs millions de dollars » afin d’installer ses propres écoles ailleurs en Afrique. Elle se limitait jusqu’ici à des partenariats. Et via un programme financé par la Banque mondiale, elle fera cette année ses débuts dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, au Pakistan.

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Présentation de notre série : La classe africaine

De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.