Larry Nassar, lors de son procès, le 22 janvier. / BRENDAN MCDERMID / REUTERS

Le procès du docteur Larry Nassar s’est achevé, mercredi 24 janvier, dans le Michigan, par sa condamnation à une peine minimale de 40 ans de prison, pouvant aller jusqu’à 175 ans. Le médecin avait plaidé coupable de sept chefs d’inculpation d’agressions sexuelles. Les sept jours qu’aura duré le procès auront surtout servi à donner la parole à plus de 150 femmes et adolescentes, pour l’immense majorité d’ex-gymnastes, mineures au moment des faits, qu’il a agressées sexuellement.

Cet ostéopathe de 56 ans, qui exerçait depuis trente ans au sein de la clinique sportive de l’université de Michigan State et de la Fédération de gymnastique américaine, avait déjà été condamné à soixante ans de prison pour détention de matériel pédopornographique. Il ne faisait guère de doutes qu’il serait de nouveau condamné.

Ce procès hors norme s’est transformé en une séance de catharsis collective qui a mis en lumière à la fois l’horreur et la honte vécues par une génération de jeunes gymnastes, qui ont raconté, souvent pour la première fois, leur souffrance et la passivité choquante des instances censées les encadrer et les protéger.

« Personne n’a rien fait parce que personne ne m’a cru »

Kyle Stephens, le 16 janvier. / Matthew Dae Smith / AP

« Les petites filles ne restent pas petites toute leur vie », a lancé Kyle Stephens, l’une des premières à témoigner, qui a dit de ce procès qu’il « a été horrible mais étonnamment thérapeutique ». Les témoins, dont certains avaient moins de 10 ans au moment des faits, ont partagé le récit de leur calvaire, parfois plusieurs années après l’avoir vécu. Les jeunes femmes ont détaillé comment, dans les coulisses de compétitions ou d’entraînements, Larry Nassar se livrait à des attouchements et à des agressions sexuelles systématiques, prétextant des massages pour soigner des blessures.

Les victimes occupaient tous les échelons de la gymnastique, de pratiquantes amatrices universitaires jusqu’à multiples championnes olympiques. Devant la juge Rosemarie Aquilina, qui les a qualifiées de « sœurs survivantes », elles ont témoigné, certaines anonymement, d’autres par écrit. La majorité, cependant, a décidé de le faire en parlant publiquement, certaines se décidant après avoir vu les premières prises de parole diffusées en direct et largement reprises dans les médias.

« Chaque histoire que j’ai entendue, aujourd’hui, est un écho de tout ce que j’ai vécu. Elles parlent avec ma voix », a dit, pendant le procès, Melissa Imrie, qui a subi des attouchements à l’âge de 12 ans et dont le traumatisme a provoqué des années de dépression. Comme elle, des centaines de sportives jusque-là anonymes ont raconté comment ces blessures avaient profondément affecté leur vie. « Je ne pouvais plus être une fille normale après ça, et j’ai perdu à jamais une grosse partie de mon enfance », a confié Jessica Thomashow, 17 ans, abusée lorsqu’elle en avait neuf. « Personne n’a rien fait parce que personne ne m’a cru, a dit une autre ancienne gymnaste, Katie Rasmussen. Personne ne croyait qu’un docteur respectable pouvait faire ce genre de choses ».

Toutes se sont adressées directement à Larry Nassar, assis menotté à quelques mètres d’elles. La tête de l’accusé était le plus souvent baissée, mais il levait parfois des yeux rougis lorsqu’une de celles qu’il avait molestées parlait. « Passer quatre ou cinq jours à les écouter est une épreuve mineure, comparée aux heures de plaisir que vous avez eues à leurs dépens », lui a asséné la juge Rosemarie Aquilina. Avant de connaître sa peine, Larry Nassar a pris la parole pour s’excuser d’avoir « détruit émotionnellement » ses victimes. « Je garderais vos mots avec moi pour le restant de mes jours », a-t-il dit. La juge, elle, a complété l’annonce de la peine an lui disant : « Je viens de signer votre arrêt de mort ».

« Nous avons besoin d’une enquête indépendante »

Aly Raisman, le 19 janvier. / BRENDAN MCDERMID / REUTERS

Si l’accumulation des témoignages a décuplé la portée médiatique du procès, ceux multimédaillées olympiques lui ont donné un autre retentissement. Simone Biles, McKayla Maroney, Jamie Dantzscher, Aly Raisman et Jordyn Wieber, de véritables stars aux Etats-Unis, ont ainsi reconnu avoir été victimes de Larry Nassar et ont, pour certaines, mis en cause directement la Fédération américaine de gymnastique américaine.

« Ce n’était pas un médecin. Il m’a laissé des cicatrices mentales qui ne partiront jamais », a dit McKayla Maroney, 22 ans aujourd’hui mais seulement quinze lors d’un déplacement de l’équipe américaine à Tokyo au cours duquel Larry Nassar l’a touchée. Jamie Dantzscher s’est adressé à l’accusé en disant :

« Comment osez-vous nous demander pardon. Vos jours de manipulation sont révolus. Nos avons une voix. Nous avons du pouvoir maintenant ».

Sur son compte Twitter, la triple championne olympique Aly Raisman a écrit, en s’adressant à la fédération de gymnastique : « Nous avons été agressées par un monstre à qui vous avez permis de prospérer pendant des décennies. Vous êtes 100 % responsables ». La gymnaste a ajouté, cette fois devant le tribunal et son agresseur :

« Nous avons besoin d’une enquête indépendante sur ce qui s’est passé exactement, ce qui a mal tourné et comment cela peut être évité à l’avenir. »

Une tentative pour dépasser le procès d’un seul homme et commencer à demander des comptes aux institutions – université de Michigan State, fédération et comité national olympique – au sein desquelles cet homme a pu agir aussi impunément pendant des décennies.

Des dizaines de plaintes ont à ce jour été déposées contre le comité olympique. Le fonctionnement de l’université de Michigan State fait l’objet d’une enquête exigée par la NCAA, l’instance dirigeante du sport universitaire. Mais c’est bien la fédération qui concentre le plus de critiques.

Quatre hauts dirigeants de celle-ci, dont le président, Steve Pennu, ont démissionné à la suite de cette affaire. John Geddert, entraîneur de l’équipe championne olympique en 2012, a été suspendu par l’instance, qui dit avoir mis en place, après une longue enquête interne, une nouvelle « politique sportive sûre », qui requiert de « rapporter obligatoirement » tout soupçon d’agression sexuelle. Des mesures cosmétiques, tardives et insuffisantes pour Aly Raisman, pour qui il y a toujours bien « quelque chose de pourri » à la fédération.