L’avis du « Monde » – pourquoi pas

C’est une tradition vieille comme Hollywood, le blanchiment de bio­graphie. Elle a fait de Cole Porter un homme à femmes et de George Armstrong Custer un défenseur des Premières Nations. Par la grâce de la Fox, c’est au tour de Phineas Taylor Barnum. Le fondateur du cirque qui porta son nom jusqu’à sa fermeture en 2017 devient, par la grâce de la comédie musicale The Greatest Showman, un défenseur du droit à la différence qui n’avait d’autre but, en exhibant des nains, des femmes à barbe ou des frères siamois à la veille de la guerre de Sécession, que d’instiller le respect des autres dans les âmes et les cœurs du public américain.

Ce n’est pas tout à fait inexact – Barnum fut l’un des premiers adhérents au Parti républicain de Lincoln – mais, en 2018, le tour de passe-passe, aussi artistement exécuté qu’il soit par son interprète principal, Hugh Jackman, ne convaincra que les plus naïfs. Même si ce n’est pas Barnum qui a prononcé la phrase « toutes les minutes, un pigeon naît », son premier souci était de remplir ses caisses, fût-ce au prix de mensonges éhontés, louant, par exemple, une esclave amenée par un Sudiste à New York pour la faire passer pour la dernière survivante de la plantation de George Washington.

Plutôt que d’exploiter les formi­dables contradictions de Barnum, le scénario de The Greatest Showman – signé par le réalisateur Bill Condon (Dreamgirls) et Jenny Bicks – agence les clichés les plus désuets du cinéma américain comme si le code Hays était toujours en vigueur. Au sortir d’une enfance misérable mais laborieuse, P. T. Barnum épouse la petite fille entrevue quinze ans plus tôt. Charity (Michelle Williams) lui donne deux belles petites filles. Pour les amuser autant que pour échapper à une carrière de gratte-papier, Barnum ouvre à New York un théâtre dans lequel il fait ­parader les êtres extraordinaires qu’il a réunis. Tom Pouce est ici un garçon résolu qui ne s’en laisse pas ­conter. Dans la réalité, « l’homme le plus petit du monde » était un enfant de 4 ans à qui Barnum apprit à fumer et à boire.

Un divertissement familial

Mais si l’on réduit ici cette histoire extraordinaire à une énième version de l’accomplissement du rêve américain, c’est aussi pour faire de la place à la vraie raison d’être de The Greatest Showman : offrir un divertissement familial et musical pour l’hiver. L’embauche de Hugh Jackman (qui, ­parallèlement à sa carrière de ­Wolverine, brûle régulièrement les planches de Broadway) tient presque toutes ses promesses. Si le spectacle de ce film réalisé par un débutant, Michael Gracey, reste à peu près supportable, c’est grâce à Jackman, qui déploie un charme dont son personnage peut lui être reconnaissant, puisque rien, dans le scénario ou la mise en scène, ne l’autorise.

Moins heureux est le recours au duo de La La Land, Justin Paul et Benj Pasek, qui signe les chansons de The Greatest Showman. Le son contemporain des arrangements participe de l’étrange normalité qui enveloppe cette histoire de gens pas comme les autres, quant aux lyrics, pleins de platitudes, ils valent ceux de ­Frozen. Et quand The Greatest Showman touche à la démesure qui aurait dû être la sienne ­ (Barnum chevauchant un ­éléphant dans la nuit new-yorkaise pour obtenir le pardon de son épouse), c’est juste assez longtemps pour qu’on regrette le film que ça aurait pu être.

The Greatest Showman | Bande annonce Officielle VF HD #3 | 2018
Durée : 02:31

Film américain de Michael Gracey. Avec Hugh Jackman, Michelle Williams, Zac Efron (1 h 45). Sur le Web : www.foxmovies.com/movies/the-greatest-showman, fr-fr.facebook.com/GreatestShowman et www.foxfrance.com/thegreatestshowman