La Khazneh est l’un des emblême de la cité antique de Pétra en Jordanie. Ce bâtiment est un tombeau nabatéen.

APétra, en Jordanie, comme à Persépolis en Iran ou à Athènes en Grèce, les recherches ­archéologiques renouvellent la connaissance des centres urbains antiques. Le grand élan des premières fouilles au Proche-Orient, au XIXe siècle, visait la sauvegarde du monumental, palais et sanctuaires. ­Depuis les années 1980, les archéologues s’intéressent, aussi, au vernaculaire, à la vie quotidienne des habitants. Comme l’illustrent les fouilles à Pétra, capitale nabatéenne d’un royaume indépendant au IVe siècle avant notre ère, devenue ­romaine en 106. On connaît sa nécropole spectaculaire, aux tombes rupestres à fronton sculptées tels des palais dans la roche rouge du cirque montagneux qui enserre le centre-ville. Aujourd’hui, c’est son habitat, jusque-là peu étudié, qui mobilise les scientifiques.

« Avec les équipes internationales sur le terrain, notamment française, allemande, italienne, américaine, finlandaise et jordanienne, c’est un site qui bouge », souligne Laurent Tholbecq, professeur chargé de la chaire d’archéologie des provinces romaines, à l’Université ­libre de Bruxelles, responsable de la mission française à Pétra. « C’est une ville comme les autres avec toutes ses fonctions, un ­habitat domestique, des ­bâtiments publics » et des édifices cultuels.

Au sud-est, en surplomb, accessible par un cheminement d’escaliers, a été mis au jour « un petit sanctuaire tribal ou familial, la chapelle d’Obodas Ier, avec une statue de ce roi divinisé, daté de l’an 20. Toutes les tribus ont un dieu, rappelleLaurent Tholbecq.Cent trente-troissignatures et des restes de banquets attestent de sa fréquentation jusqu’au IIe siècle. »

La manne, c’est l’encens

Plusieurs centaines d’inscriptions ont été relevées sur le site par Laïla Nehmé, directrice de recherche au CNRS. L’archéologue épigraphiste a cartographié, sous 3 300 numéros, les monuments de Pétra. En 2015, c’est le complexe thermal de Jabal Khubthah, en partie rupestre, ­situé en à-pic sur le théâtre de la ville, qui a été fouillé. Le modèle en 3D des vestiges, réalisé par la mission française et le laboratoire ArScAn, est un plan carré à sept pièces, avec bassins froid et chaud, alimentés par deux citernes ­reliées à deux aqueducs.

Fouilles du complexe thermal de Jabal Khubthah, à Pétra (Jordanie) | Mission archéologique française de Pétra.

Forteresse naturelle, Pétra occupe une plaine intérieure de 1,5 kilomètre de large sur 1 kilomètre de long. La cité a survécu près de mille ans grâce à trois sources actives toute l’année et une gestion pointue de la distribution de l’eau. Les fouilles récentes révèlent « une ville riche, avec des villas décorées de peintures murales, de stucs, aux sols en marbre, équipées de citernes, de bains privés et de chauffage, qui rappellent celles de Pompéi », note l’architecte Thibaud Fournet (CNRS) de l’Institut français du Proche-Orient, à Amman. Lequel travaille sur le quartier romano-nabatéen « extrêmement luxueux ».

« C’est la Dubaï de l’époque, avec ses ­palais de marbre italien bâtis par les meilleurs artistes venus d’Alexandrie et d’ailleurs, dans un mélange baroque ­mariant l’Occident et l’Orient, au confort exubérant très m’as-tu-vu, s’emporte ­Thibaud Fournet. Le vocabulaire architectural gréco-romain est enrichi à tous les étages de merlons et peint de toutes les couleurs avec des guirlandes d’or. » Chaque maison possède une pièce spectaculaire articulée autour d’une cour équipée de banquettes. Les Nabatéens prennent leurs repas couchés, comme les Romains qui ont adopté la pratique orientale.

Charlène Bouchaud, archéo-botaniste au CNRS, a identifié les graines qui sont à la base de l’alimentation – orge, blé, vigne, olivier, lentilles et pois. Figues, ­grenades et pistaches s’avèrent plus rares, comme les noix et les dattes. Le charbon de bois provient du ­genévrier, du pin et du chêne. Pétra contrôle le commerce Orient-Occident, entre Akaba sur la mer Rouge et le port de Gaza en Méditerranée. Elle assure le transport caravanier des aromates, des épices et du bitume de la mer Rouge. La manne, c’est l’encens, provenant du ­Yémen, qui se vend à prix d’or à Rome, comme en Egypte ou en Mésopotamie. Cette gomme issue de la résine du Boswellia sacra sert aux fumigations dans les temples et aux rituels religieux des divers cultes et civilisations du ­Proche-Orient et de l’Occident.

National Geographic

Depuis 2015, la mission française ­explore un complexe thermal situé à 7 kilomètres au sud, découvert par Léon de Laborde en 1828, au débouché d’une piste caravanière. Précisément au confluent du Wadi Sabra et du Wadi ­Arabah, donnant accès à la fois à la mer Rouge et à la Méditerranée. Les récents relevés de Thibaud Fournet ont identifié un temple avec son téménos (la cour ­sacrée), mais aussi des bains et un théâtre rupestre. Il s’agirait d’un complexe « situé au point d’arrivée des grandes ­caravanes à Pétra, servant aux fêtes religieuses et commerciales des Bédouins, suggère Laurent Tholbecq. Le sanctuaire est un lieu neutre, dans lequel les tribus en conflit peuvent se réunir. En Jordanie, le droit officiel et le droit coutumier perdurent. » En 2018, les prochaines fouilles diront si son utilisation date de l’arrivée d’une garnison au IIIe siècle.