Larry Nassar, de dos, le 24 janvier. / BRENDAN MCDERMID / REUTERS

Au moment où la peine maximale de cent soixante-quinze ans de prison à l’encontre de Larry Nassar a été prononcée, mercredi 24 janvier, des applaudissements et des pleurs emplirent la salle d’audience du tribunal de Lansing (Michigan).

C’était la fin d’un procès hors-norme, au cours duquel 156 femmes et adolescentes ont raconté les agressions sexuelles et attouchements subis de la part de ce docteur ayant exercé pendant trente ans au sein de la clinique sportive de l’université de Michigan State et de la Fédération de gymnastique américaine.

Les médias américains étaient chaque jour plus nombreux pendant la semaine qu’a duré l’audience, relayant, par écrit ou en vidéo, les témoignages déchirants des jeunes victimes.

De cette couverture ont émergé, comme lors de tout événement si médiatisé, des visages, des phrases et des gestes. Ceux des victimes courageuses, de Rachael Denhollander, la lanceuse d’alerte ou de Rosemarie Aquilina, la juge qui prend le risque d’oublier l’impartialité pour défendre les victimes d’abus sexuels.

Rosemarie Aquilina, la juge qui dépasse sa fonction

« Je viens de signer votre arrêt de mort » : retour en images sur le procès de Larry Nassar
Durée : 02:45

Larry Nassar a officiellement plaidé coupable de sept chefs d’inculpation d’agressions sexuelles, mais ce sont en tout 156 femmes qui l’ont publiquement accusé. La décision d’autoriser autant de témoins a été le fait de la juge Rosemarie Aquilina. Elle n’a jamais caché son intention de faire de ce procès une tribune pour les victimes d’abus sexuels.

Sa façon de mener l’audience, prenant inlassablement la défense des victimes et dénigrant l’accusé, en a fait une vedette. Au fil des portraits, on apprit que la juge était mère et grand-mère, membre depuis vingt ans de la Garde nationale du Michigan, professeure de droit et auteure de polars. Ses phrases chocs – comme le « Je viens de signer votre arrêt de mort » qu’elle a lancé à l’accusé – et quelques gestes à la clôture du procès, ont fini d’en faire une icône.

« Vous n’êtes plus des victimes, vous êtes des survivantes », a-t-elle dit dans un discours largement reproduit en ligne. Lorsqu’elle a lu une lettre de Larry Nassar dans laquelle il accusait la presse et la justice d’avoir transformé le procès en cirque médiatique, Rosemarie Aquilina a terminé en la jetant par terre. Le GIF est bien sûr devenu viral.

Si les prises de position de la juge ont été beaucoup louées, certains se sont étonnés de voir une figure censée être neutre se montrer si partiale. « Il faut qu’il y ait un semblant d’impartialité, peu importe si vous détestez la personne. Ce n’est pas le rôle d’un juge de guérir des personnes », a dit le juge William Collette, un de ses collègues depuis des années dans le comté d’Ingham. Plus grave, selon CNN, le fait qu’elle ait regretté que « le traitement cruel et inhumain soit interdit par la Constitution (…) car j’aurais autorisé qu’on lui fasse ce qu’il leur a fait subir », pourrait être utilisé par la défense lors d’un éventuel appel.

Rachael Denhollander, la première voix

Rachael Denhollander. / JEFF KOWALSKY / AFP

A l’été 2016, les soupçons de pédophilie contre Larry Nassar existaient mais étaient loin d’être étayés. Il aura fallu un journal régional et une ancienne gymnaste devenue avocate pour qu’il soit mis hors d’état de nuire. L’Indianapolis Star publie, en août 2016, une enquête mettant en cause la fédération de gymnastique pour protéger des entraîneurs accusés d’abus sexuels sur des gymnastes.

Les informations sont à peine reprises dans la presse nationale, mais elles arrivent jusqu’à Rachael Denhollander, une avocate de 33 ans résidant dans le Kentucky. A 15 ans, alors qu’elle était gymnaste, elle a subi les attouchements de Larry Nassar. Enhardie par ce qu’elle lit, elle contacte les journalistes et décide d’aller porter plainte devant la police de l’université de Michigan State, là même où elle a subi les abus. « La voix de Denhollander a sonné le glas de Nasser. C’est sa plainte qui l’a arrêté, et ouvert les vannes pour permettre à près de 200 autres femmes de témoigner », écrit The Detroit News.

C’est ensuite la découverte par les enquêteurs d’images pédopornographiques sur l’ordinateur de Larry Nassar qui appuiera les propos de Denhollander et ceux des autres victimes. Pour son avocat, John Manly, « sans son courage, aucun de nous ne serait là aujourd’hui et Larry Nasar agresserait encore des enfants ». Rachael Denhollander a été la dernière des 156 femmes à prendre la parole.

Les instances sportives devront rendre des comptes

Maintenant que la poussière du procès commence à retomber, les médias américains constatent que la condamnation de Larry Nassar n’est pas l’épilogue de cette affaire de pédophilie dans le sport. Mais une étape qui arrive près de 20 ans après les premiers faits avérés et un an et demi après l’ouverture du volet judiciaire. La prochaine étape risque d’entraîner dans sa chute les institutions au sein desquelles cet homme a pu agir aussi impunément pendant des décennies.

« Les retombées de ce scandale d’abus sexuels ont traversé les sports américains et continuent de se disséminer rapidement », résume le Pittsburgh Post-Gazette. Ceux qui sont considérés qualifiés au mieux de facilitateurs, au pire de complices – l’université de Michigan State, la Fédération de gymnastique et le Comité olympique – ont commencé à rendre des comptes.

Le Comité olympique, qui fait face à des dizaines de plaintes, a reconnu sa responsabilité et promis une enquête indépendante pour changer profondément « la culture » de la gymnastique. L’université où il a exercé entre 1997 et 2016 avait blanchi Nassar en 2014 après des plaintes. Sa présidente a été contrainte de démissionner. A la fédération, plusieurs têtes sont déjà tombées.

Pour Charlie Pierce, un des plus grands journalistes sportifs américains, « chaque personne qui avait un poste à responsabilité dans ces trois instances devrait être renvoyée et, si nécessaire, poursuivie en justice ». « La gymnastique américaine, écrit-il dans Detroit Free Press, n’est plus un sport. C’est une association de pédophiles et de leurs complices. »

Pour appuyer un propos qui peut paraître extrême, il rappelle qu’en 1995 est paru Little Girls in Pretty Boxes, un livre « qui nous prévenait que la gym et le patinage artistique avaient des effets négatifs sur de jeunes vies et qu’ils étaient des environnements idéaux pour des prédateurs sexuels ».

« Les révélations du livre ont obligé la fédération américaine à prendre des mesures, dont l’éducation des parents pour qu’ils puissent les alerter sur des coaches abusifs ou des troubles du comportement alimentaires. A cette époque, Larry Nassar montait déjà les rangs de cette organisation, donc on peut voir à quel point tout ça a bien fonctionné. »