Sébastien Ogier part à la conquête d’un sixième titre mondial, jeudi 25 janvier 2018. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Il est des sujets de portrait dont les envolées, les esclandres ou autres polémiques fournissent à l’auteur les bons mots qui rythmeront l’article et en assureront la reprise sur les réseaux sociaux. Pas avec Sébastien Ogier. Planté dans le fauteuil moelleux d’un grand hôtel parisien, à quelques heures du raout annuel organisé par la Fédération internationale de l’automobile au château de Versailles, en décembre, le trentenaire répond placidement. Revenant sans effusion sur son parcours. Comme surpris d’être sollicité pour un entretien et de l’intérêt potentiel de ses réponses.

Le Gapençais a pourtant de quoi pavoiser. A 34 ans, il a conquis en octobre un cinquième sacre mondial d’affilée en rallye, faisant de lui le deuxième pilote le plus titré de son sport, derrière Sébastien Loeb et ses neuf couronnes. Loeb justement. Difficile de trouver un article ou entretien consacré à Ogier sans une comparaison avec son glorieux aîné.

Une référence étouffante dont « l’héritier » prend soin de s’écarter : « Sébastien [Loeb] ? Un modèle. Quand j’ai commencé c’était l’exemple à suivre, une inspiration. Mais j’ai tracé depuis mon propre chemin. » « Il est sur une bonne lancée, il peut y arriver [atteindre les neuf titres mondiaux]. Mais, par modestie, il ne le dit pas », taquine poliment son prédécesseur.

Apprentissage au fer rouge

Difficile, pourtant, de ne pas repenser à leur cohabitation mouvementée chez Citroën, en 2011. Jeune fougueux pétri de talent, Ogier se permet de défier le maître dans son propre garage. Résultat : cinq victoires de chaque côté et des consignes d’équipe favorisant un énième titre de l’Alsacien. « L’autre Sébastien » prendra la tangente. Quitte à passer une saison loin du barnum du WRC à préparer l’arrivée de Volkswagen en rallye, qui lui offrira ses quatre premiers titres mondiaux (de 2013 à 2016).

« La victoire d’un Tricolore avec une voiture française a forcément un goût particulier. Mais ça ne m’a pas empêché de vivre d’autres belles aventures », balaie aujourd’hui le pilote, soucieux de ne pas s’étendre sur une période dont on perçoit encore les réminiscences. A peine reconnaît-il une « saison qui s’est mal terminée » et des « tensions politiques difficiles à gérer ». « Nous avons compris que nous ne pratiquions pas qu’un sport, mais aussi un business, complète Julien Ingrassia, son copilote. On a vécu un apprentissage au fer rouge. »

Sacré champion du monde l’an passé avec M-Sport, Ogier est le premier couronné au volant d’une voiture privée depuis Ari Vatanen (Finlande), en 1981. Un exploit, au sein d’une structure incapable – normalement – de rivaliser avec les constructeurs engagés en WRC (Citroën, Hyundai, Toyota). Comme un nouveau pied de nez à la carrière linéaire de Loeb, qui n’a jamais quitté Citroën, son cadet avait rejoint l’écurie britannique à l’aube de la saison 2017, contraint par le départ surprise de Volkswagen.

« M-Sport a certes moins de moyens que les autres, mais l’équipe dispose d’un boss qui ne ménage pas ses efforts et met tout son cœur dans son entreprise », explique-t-il. « Quand un quadruple champion du monde vous rejoint, il rend chacun meilleur, réplique Malcolm Wilson, le “boss”. Nous n’avions jamais eu un pilote aussi fort, aussi professionnel. »

Citroën éconduit

Sébastien Ogier a prolongé avec M-Sport, après son cinquième sacre de suite. / JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Absent envahissant, Loeb s’est de nouveau rappelé aux nouvelles du désormais quintuple champion du monde durant l’hiver. Surclassé la saison passée – quatrième avec deux fois moins de points que M-Sport –, Citroën rêvait d’étrenner son ancien duo tricolore sur quelques manches du calendrier, Loeb s’offrant une pige de trois rallyes en 2018.

S’il promet avoir définitivement tourné la page des bisbilles franco-françaises, Ogier a fait fi des appels du pied de la marque aux chevrons durant la dernière intersaison : « Ils ne m’ont pas montré les signes suffisants de motivation. Le blocage est plus humain que financier : personne n’a exprimé la même envie que M-Sport. » S’interrogeant sur un possible retrait des rallyes, le jeune papa a finalement rempilé avec l’écurie dirigée par Malcom Wilson, rebaptisée M-Sport Ford après l’annonce en janvier d’un soutien renforcé du constructeur américain.

« Pour le garder à nos côtés, nous devions prouver à Sébastien notre capacité de rester compétitifs et d’apporter les évolutions nécessaires à la voiture, développe celui qui a fondé M-Sport en 1979. A l’inverse, la prolongation d’Ogier a motivé le retour de Ford, qui revient avec d’importantes ressources techniques. »

Riche d’une armoire à trophées parmi les plus chargées du sport français, objet d’une admiration unanime de ses concurrents, sacré avec deux équipes différentes – ce que Loeb n’a jamais tenté –, Ogier ne bénéficie pas en France de la popularité normalement acquise à une telle performance.

« On n’est pas dans la jet-set »

Première victime d’une discipline à la médiatisation limitée ? Manque de charisme préjudiciable pour attirer caméras et sponsors ? Ombre d’un prédécesseur dont il n’a pas encore atteint les records ? Lui plaide pour une « banalisation regrettable dans le pays des victoires en rallye » couplée à une discrétion naturelle – et cultivée. « J’ai pour objectif d’être reconnu dans mon sport, pas de devenir une superstar, recadre le principal intéressé. Je ne cours pas après les sollicitations, il y a déjà suffisamment de contraintes. J’apprécie d’avoir parfois une vie lambda. »

Moins diplomate, Julien Ingrassia, son compagnon d’habitacle, se réjouit de ne pas compter parmi la « jet-set, comme ces footballeurs qui se mettent en caleçon pour célébrer le moindre but, reléguant au second plan l’investissement et les sacrifices qui leur ont permis d’atteindre l’excellence. L’époque est aussi à l’immédiateté. Tout va vite désormais, les notions de héros et de star à travers les âges ont disparu ».

A défaut de partir à l’assaut des records, lui qui promet n’avoir plus que quelques saisons à courir, Ogier se lancera dans la conquête d’un sixième titre de suite le 25 janvier, à Monte-Carlo. « Ce rallye est mon premier souvenir de sport auto, se remémore le natif de Gap. J’allais aussi avec mon père voir le Grand Prix de Monaco. Mais seulement les essais du jeudi : c’était gratuit et nous n’avions pas les moyens d’assister à la course. »

A Monte-Carlo, le Français ne courra pas véritablement à domicile, installé désormais en Suisse. Un déménagement dont il assume les motivations : « Je suis parti pour des raisons fiscales. J’avais l’impression d’y être poussé, les solutions [fiscales] proposées en France n’étant pas adaptées aux carrières sportives, très courtes. » Un déménagement similaire à celui effectué quelques années auparavant par Loeb. Sébastien Ogier n’est décidément jamais bien loin de son compatriote.