Dans une petite école de brousse de la région de Hoima, l’apprentissage est à l’image du système éducatif ougandais : ambitieux, mais encore très précaire. / Gael Grilhot

A Ntinda, c’est la récréation dans la cour de l’école secondaire mixte de ce quartier périphérique de Kampala, où habitent bon nombre de familles de la classe moyenne. Adossées à un mur coloré en rouge et jaune pastel, un groupe de jeunes filles en uniformes à jupe violets papotent, rêvant de leur futur. Chirurgienne pour l’une, avocate pour l’autre : leur passage dans cette école leur ouvrira certainement les portes vers un meilleur avenir que celui de leurs parents, qui souvent se privent pour pouvoir payer leurs frais d’inscription.

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Car l’école de Ntinda est privée, donc payante, comme le sont encore près de 65 % des écoles secondaires du pays. Mais nombre d’entre elles sont intégrées au programme d’éducation secondaire universelle (ESU) mis en place en 2007 par le gouvernement, et qui finance les frais basiques de scolarité.

Infographie "Le Monde"

Pionnier en Afrique subsaharienne, l’Ouganda a été le premier pays à instaurer ce système, dix ans après avoir fait de même avec l’école primaire. L’objectif était alors de pallier le faible niveau des élèves ougandais, dont beaucoup quittaient le système scolaire trop tôt, particulièrement dans les zones rurales. Permettre aux jeunes ougandais d’étudier gratuitement (hormis des frais d’uniforme et de pension), pour mieux développer le pays ensuite, en comptant sur une population éduquée : l’objectif du gouvernement de Museveni était alors ambitieux, dans ce pays pauvre qui sortait à peine de plusieurs décennies de conflits politiques et de guérillas. Construction d’infrastructures, formation et enrôlement massif de professeurs, mise en place de dizaines d’« écoles semences » en zones rurales : l’effort gouvernemental n’eut rien d’anecdotique.

Freins culturels

Une décennie plus tard, les résultats sont visibles, selon Patrick Muinda, le porte-parole du ministère de l’éducation nationale, qui met en avant le nombre d’élèves inscrits. D’à peine plus de 160 000 dans le secondaire au début, ils ont dépassé le million en 2016. De bons chiffres à relativiser, si l’on tient compte de la croissance démographique de ce pays, dont la majorité de la population est aujourd’hui âgée de moins de 15 ans. Au total, le taux brut de scolarisation dans le secondaire demeure faible, à 23,2 % de la classe d’âge concernée en 2015.

Autre objectif de l’ESU : intégrer davantage les filles. Le ratio des filles inscrites est passé d’un tiers des effectifs à près de la moitié. « Nous avons au sein du ministère une unité spécialisée dans le genre, insiste Patrick Muinda, pour s’assurer que l’écart entre les sexes est réduit à tous les niveaux. » Reste que, les freins culturels étant toujours aussi importants dans le pays, de nombreuses jeunes filles quittent le système scolaire au moment de leurs premières règles.

Sur le terrain, l’absentéisme des enseignants demeure important, flirtant avec les 27 %. « Ils se sentent isolés et ont l’impression qu’il n’y a aucun suivi du ministère », confirme Mame Omar Diop, coauteure d’un rapport de l’Unesco sur l’éducation en Ouganda. A l’image de ce directeur d’école qui a construit sa petite école dans son village de la région de Hoima (ouest du pays), où il n’y avait aucune infrastructure scolaire. D’un côté de la petite cour de terre battue, les petits répètent à voix haute des listes de vocabulaire. De l’autre, les adolescents apprennent le fonctionnement des institutions, ou le Code de la route. Cette école de brousse, faite de petites classes en bois et en tôles, est représentative du système éducatif ougandais : ambitieux, mais encore très précaire.

Essor des partenariats public-privé

L’isolement, combiné à une rémunération très basse, explique en grande partie la désaffection des enseignants, selon Mame Omar Diop, et joue beaucoup sur la mauvaise réputation dont jouit encore le secteur public. Très tôt, le secteur privé s’est d’ailleurs engouffré dans la brèche de l’ESU, et des partenariats public-privé (PPP) se sont développés. « Le gouvernement a mis en place un environnement propice pour les investisseurs dans l’éducation », reconnaît Patrick Kaboyo, secrétaire général de la Fédération des institutions de l’éducation privée. Mais, pour lui, ce n’est pas encore assez, « il doit s’ouvrir davantage, accorder plus de subventions ou d’incitations ».

Dans ce domaine, le ministère marche sur des œufs, et doit ménager le puissant syndicat des enseignants du public (UNATU), qui souhaite réduire la part du privé dans le secondaire et veille au strict respect des standards minimums en matière d’éducation par ces établissements.

« Le modèle PPP a joué un rôle très important dans la mise en place de l’ESU, admet Patrick Muinda. L’avantage le plus important est la rentabilité du modèle, le gouvernement n’a pas à assumer les dépenses de construction et les salaires des enseignants. Mais ce modèle a été trop utilisé dans le but de faire du profit (…). Le gouvernement examine actuellement ce cadre de travail PPP, avec l’intention de se retirer progressivement, sans affecter les apprenants. »

Un travail de fond est par ailleurs mené entre le ministère et l’Unesco pour améliorer la qualité de l’éducation dans le public, renforcer le lien entre les enseignants et le ministère, et travailler sur les questions de formation. Le gouvernement a même promis une revalorisation des salaires à l’été 2018. D’autres pistes sont également à l’étude, pour leur venir en aide sur le terrain. « Souvent l’absentéisme est lié à la maladie, précise ainsi Mame Omar Diop. De nombreux enseignants sont par exemple touchés par le sida, et n’ont pas les moyens de se soigner. Nous recommandons ainsi la mise en place d’une mutuelle de santé. »

Des défis considérables pour un pays dont le nombre d’enfants en âge d’aller à l’école aura doublé d’ici à 2025.

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De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.