Par Grégory Jarry

Exposition « Roman-photo » au MuCEM, à Marseille, jusqu’au 28 avril. / BERTRAND LANGLOIS/AFP

C’est un fait, il y a un grand retour du ­roman-photo. Il s’est publié une dizaine d’albums de romans-photos ces douze derniers mois – entre autres : L’Illusion nationale, de Valérie Igounet et Vincent Jarousseau (Les Arènes, 2017) ; Mon voisin Brad Pitt,de Lisa Lugrin et Clément Xavier (NA Editions, 2017) ; Le Syndicat des algues brunes, d’Amélie Laval (FLBLB, 240 p., 25 euros). Ça peut paraître peu, mais c’est presque autant que toute la production des quarante années passées. Attention, il faut savoir de quoi on parle quand on dit roman-photo. On parle d’un moyen d’expression et non d’un genre. On parle de quelque chose d’équivalent, pour le cinéma, à la bande dessinée. Oserais-je dire qu’on parle d’un art ? Un art qui aurait, jusqu’à présent et pour des raisons bassement mercantiles, été corseté par un genre : l’eau de rose.

L’eau de rose en roman-photo, c’est à vous dégoûter de l’amour. La plupart du temps, c’est industriel, la chair n’a pas de saveur, les os se délitent, de la vraie flotte. Alors oui, on met le roman-photo au musée, on rigole de ces filles jeunes et fardées dans les bras de ces messieurs plus âgés et en imperméable. On aimerait bien que ce soit plus que ça, mais hélas, ce n’est pas plus que ça, et c’est même moins que ça, car ça occulte ce qu’il y a de plus intéressant dans le roman-photo : le roman-photo lui-même, un moyen d’expression formidablement sous-exploité, qui n’a pas encore rencontré son Chaplin, son Hergé. Un moyen d’expression qui utilise la puissance du langage de la bande dessinée. Un moyen d’expression qui a besoin du réel, d’un tournage, d’acteurs, à l’instar du cinéma. Mais un moyen d’expression en soi, qui peut dire les choses à sa façon, qui n’a pas besoin de ses cousins pour exister.

Grande liberté d’action

Il n’y a aucune raison pour qu’on n’arrive pas à produire de grandes œuvres en roman-photo, je dirais même que les prochains auteurs de romans-photos ont toutes les chances de créer des chefs-d’œuvre, comme ce fut le cas pour le cinéma ou la bande dessinée quasiment dès leurs débuts. Car le roman-photo demeure un territoire ­immense à ­conquérir, et il est quasiment inexploré. Pas grand monde pour s’y risquer, à part les dix pingouins qui ont publié leur livre l’an dernier. Si on compare aux 5 000 BD qui sortent chaque année, ce n’est pas grand-chose.

Il y a moyen d’exister, peut-être même de se faire un nom. Même sans ça : un roman-photo est passionnant à réaliser, et pas si compliqué. Pas de gros moyens techniques en œuvre, ni de budget pharaonique. Un seul ­individu peut faire un roman-photo, ou une petite équipe. C’est là sa grande force : sa simplicité, sa légèreté, et aussi le fait que l’industrie ne s’intéresse pas à lui, qu’il n’est pas en pleine lumière. Tout cela procure une grande liberté d’action.

Ses troupes vont grossir

Le roman-photo est un art jeune, radieux, qui a claqué la porte de chez ses parents, ces vieux croûtons englués dans leurs histoires d’amour à deux balles. Il est allé se planquer dans les sous-bois pour y mener une guérilla, il va surprendre, il va frapper là où on ne l’attend pas, et ses troupes vont grossir. Car le roman-photo appelle à lui tout ce que l’époque compte de photographes payés une misère par la presse ou les gazettes municipales, de cinéastes qui en ont ras-le-bol de perdre des années à financer leurs films, d’auteurs de BD qui dessinent laborieusement d’après photo, de graphistes qui bossent lamentablement dans la pub ou tout simplement d’authentiques auteurs de romans-photos qui s’ignorent, ou qui en font sans trop y croire. Il appelle à lui tous les producteurs d’images qui ont envie de raconter des histoires et qui butent pour le faire, parce que tout est bouché, que les « fils de » occupent les meilleures places, que la surproduction tous azimuts fait que rien ne marche sans marketing agressif ou alors il faut un gros coup de bol.

Vous savez pourquoi l’époque est propice au roman-photo ? Parce que c’est la meilleure chose à faire et qu’on en a marre du reste.

Grégory Jarry est auteur et éditeur de bande dessinée aux éditions FLBLB.