Il peut sembler curieux de prendre le parti de la « banalité » quand on travaille, en sciences sociales, sur les attentats parisiens du 13 novembre 2015. Au contraire, face à la violence du choc, la grande majorité des études, notamment celles lancées dans le cadre du CNRS – et validées pour 66 d’entre elles –, se sont focalisées sur la trace de l’événement, ­interrogeant le « traumatisme » et la « résilience » des victimes puis des riverains, cherchant à décrire la coupure et les recompositions biographiques entre l’avant et l’après.

Dans le nouveau numéro de la revue Genèses, Sylvain Antichan, chercheur ­postdoctorant à la Fondation Maison des sciences de l’homme, à Paris, propose, à l’opposé de ces attendus, d’investiguer les attentats de manière la plus ordinaire possible : en ethnographe muni de son calepin, arpentant les lieux. Bien que son ­enquête ne soit qu’une esquisse, elle suggère immédiatement que l’image sociale de l’événement est façonnée par des mécanismes de tri des ­« témoins ». Surtout, elle brise le cercle vicieux de l’enquête sur le trauma qui tend à faire surgir des récits qui confortent l’hypothèse du traumatisme.

Mise en garde

Son volet le plus intéressant concerne la fréquentation des ­mémoriaux ou autels de rue qui ont émaillé Paris, qui montre qu’il faut se garder de tirer des conclusions trop rapides sur la relation que les individus entretiennent à l’événement. Sous-titré « Plaidoyer pour des sciences sociales ordinaires », l’article se veut aussi une mise en garde face à la méthodologie innovante de certaines enquêtes (entretiens filmés dans les studios de l’INA, par exemple, avec des témoins préalablement ­maquillés) qui s’écartent des protocoles de recherche habituels. ­Prenons garde au risque de fabriquer ce fameux traumatisme qu’on présuppose, suggère Sylvain Antichan.

Mais c’est à un tout autre sujet que le numéro de Genèses consacre son dossier principal. Réunissant, sous la houlette du sociologue Nicolas ­Duvoux, plusieurs articles sur la philanthropie en France, venus de disciplines diverses (histoire, sociologie ou science politique), la revue ­dévoile une situation française assez paradoxale. L’Etat français a régulièrement intégré les contributions privées à ce qui lui semblait être l’intérêt général – là où, aux Etats-Unis, la justification de la philanthropie est précisément le maintien du pluralisme sur la question. Ainsi, en France, la philanthropie a-t-elle ­contribué « à la construction d’un Etat qui n’a cessé de la minorer, symboliquement mais aussi pratiquement » – jusqu’au renversement des années 1990, où il l’a encouragée dans le ­domaine culturel. On découvrira avec intérêt comment les dons de ces acteurs privés sont à la fois stimulés et invisibilisés, là encore ­selon une habitude toute française.

« Philanthropies et prestige d’Etat en France », Genèses. Sciences sociales et histoire (Belin, nº 109, 176 p., 25 €).