Tribune. Cher Monsieur Mabanckou, vous détournez l’objet de la francophonie pour un combat personnel. En amoureux des mots, d’où qu’ils viennent, et en admirateur de votre prose, j’ai sincèrement regretté que vous refusiez de participer aux travaux de réflexion sur la langue française auxquels le président Macron vous avait invité. Je l’ai d’autant plus regretté que je vous suis un fidèle lecteur et que je partage un grand nombre de vos opinions.

Alors, certes, c’est votre droit le plus entier. Mais laissez-moi déplorer que vous n’ayez pas daigné quitter votre soleil californien pour faire valoir vos pensées et vos réflexions de manière plus étayée, en terre francophone, au service du riche et fort estimable débat que vous auriez pu initier à cette occasion.

Pour justifier votre décision, dans la lettre ouverte à Emmanuel Macron publiée le 15 janvier sur le site de L’Obs, vous accusez insidieusement le président français d’observer un silence complice vis-à-vis des manquements aux rappels démocratiques que se devrait de formuler l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à l’encontre de quelques pays africains. Vous reprochez en quelque sorte à un jeune président élu de ne pas s’immiscer dans la conduite des décisions d’une organisation internationale indépendante forte de 84 Etats membres. N’est-ce pas, pourtant, ce que les farouches dénonciateurs de la Françafrique attendent ? Vous-même indiquez que « la Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies ».

Trouver un consensus

Vos propos sont la dernière preuve, s’il en était besoin, que le président français – qu’il s’exprime dans un cadre bilatéral ou sous couvert du multilatéralisme de la francophonie – ne dispose que d’une très faible marge de critique avant de se voir affublé d’une étiquette néocoloniale qui nuirait à l’ensemble de ses rapports avec les pays d’Afrique et, par ricochet, à la langue française, celle-là même que vous portez si haut. Vous mettez également en cause les accointances de la Francophonie institutionnelle avec quelques despotes africains.

De la sorte, vous mésestimez les avancées en matière de démocratisation des régimes depuis la signature des déclarations de Bamako (2000) et de Saint-Boniface (2006). Certes, les progrès sont lents, trop lents, comme toujours avec les organisations intergouvernementales. Mais comment ne pourraient-ils pas l’être lorsqu’il s’agit de trouver un consensus commun en matière démocratique entre le Canada, la République démocratique du Congo, le Cambodge et des dizaines d’Etat aux cultures antagonistes dans le respect de leurs souverainetés propres ?

Paradoxalement, vos propos prêtent à l’OIF des pouvoirs et une influence dont, par nature, elle ne dispose pas. En revanche, ils soulèvent bien la question lancinante des limites de l’universalité pour une telle organisation. Au nom de la langue française, vous appelez le président Macron à lancer des appels à la liberté aux jeunes Africains. Mais la France, éprise de son universalisme, drapée dans le linceul de sa liberté, forte de son arrogance, n’a que trop cherché à diffuser ses valeurs au sein de pays n’ayant ni son histoire, ni sa culture, ni ses ressources, au nom de principes moraux qu’elle qualifiait d’intangibles.

A l’heure où des exemples récents nous montrent que de simples changements de dirigeants ne constituent en rien la garantie d’une démocratisation des régimes, comment le président Macron pourrait-il se hasarder à lancer des appels aveugles au changement de régime qui pourrait avoir un arrière-goût d’anarchie, ou pire, comme en Libye ? Ces changements de régime, qui s’imposent de toute évidence dans certains pays, doivent résulter de mouvements populaires et massifs, à l’instar de celui qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir burkinabé en 2014, et en aucun cas d’appels extérieurs.

Un levier du multilinguisme

Mais vous me conduisez, Monsieur Mabanckou, sur des terrains glissants j’en conviens. Je voulais simplement vous parler de la langue française. En usant d’un prétexte politique pour refuser de contribuer aux réflexions engagées, vous détournez l’objet même de la francophonie – celui de notre langue dont il nous faut repenser le lien – pour un combat personnel à l’égard de quelques potentats que le temps et les sociétés civiles se chargeront de remplacer bien plus vite que ne pourraient le faire quelques valeureux communiqués de la Francophonie ou de l’Elysée.

Pourquoi ne pas tenter de dépassionner les débats politiques autour de cette langue. Certes, j’entends Alexandre Najjar lorsqu’il dit que « le culturel devient fatalement politique », mais tâchons collectivement de faire du français l’arène d’un dialogue interculturel apaisé, un contrepoids face à la globalisation dévorante, un levier du multilinguisme, un outil de compréhension des cultures africaines, arabes, berbères, nord-américaines, océaniques et françaises. Comme le dit Leïla Sebbar, « une famille politique, c’est quoi, lorsque la famille naturelle, côté père, côté mère, est à ce point oubliée dans la parole quotidienne ? ». Le quotidien francophone, ses usages et ses expressions, ses pratiques et ses évolutions à travers les cinq continents, voilà la source d’un projet francophone porteur auquel vous pourriez insuffler mille idées.

Il est certes fort louable que votre décision s’inscrive en solidarité avec les jeunesses de pays africains en mal d’élections. Mais, malheureusement, en agissant ainsi, c’est l’ensemble de la communauté francophone mondiale que vous privez de vos lumières. C’est la place du précieux fil noir qui relie le roman francophone à ses histoires et racines multiples que vous amenuisez. C’est la parole de tous ces formidables auteurs nés hors de France, injustement méconnus, que vous n’amplifiez pas. C’est, finalement, cet imaginaire monde dont vous parlez, si vaste, si riche, fertile terrain de la nécessaire fusion des univers littéraires francophone et français, que vous refusez de servir. C’est bien dommage. Je vous prie de croire, cher Monsieur Mabanckou, en mes considérations les plus respectueuses.

Bertrand Ollivier est doctorant au Centre Thucydide de l’université Paris-II Panthéon-Assas.