Youssef Aït Boulhacen s’est une fois encore enveloppé le visage dans une écharpe, seules dépassant ses lunettes et le haut de son crâne. Cela n’a pas empêché le ciel de lui tomber un peu rudement sur la tête, mercredi 31 janvier, au procès des trois jeunes gens accusés d’avoir hébergé deux des terroristes du 13 novembre 2015. « Vous vous cachez, vous vous cachez comme vous le faites depuis deux ans et demi ! l’a attaqué Me Jean Reinhart. Vous ne pouvez pas affronter votre vie ! » Trois avocats, au nom des 500 parties civiles, ont rassemblé en une petite heure sur sa tête tous les éléments à charge du dossier, et en ont fait une lecture accablante.

Youssef Aït Boulhacen est le frère d’Hasna, la jeune femme tuée le 18 novembre 2015 pendant l’assaut du RAID à Saint-Denis, aux côtés de son cousin Abdelhamid Abaaoud et de Chakib Akrouh, deux des hommes qui avaient mitraillé les terrasses de café à Paris. Il est poursuivi pour « non-dénonciation de crime » et a toujours soutenu qu’il n’était pour rien dans les égarements d’une sœur un peu dérangée ; il n’avait même pas compris qu’elle cherchait à cacher leur cousin – « personne n’a choisi sa famille, personne n’a choisi l’utérus de sa mère ! », avait tranché le jeune homme la veille.

« Les éléments matériels ne sont pas équivoques »

Me Gérard Chemla a calmement expliqué que « tout n’a pas été retrouvé » dans ses téléphones et son ordinateur, « mais les éléments matériels ne sont pas équivoques ». Dimanche 15 novembre 2015 à 20 h 20, Hasna Aït Boulhacen reçoit un coup de fil de Belgique d’un homme qui s’avérera être Mohamed Belkaïd – tué quatre mois plus tard dans la banlieue de Bruxelles. Il lui demande de trouver une planque pour les deux terroristes.

Moins de quatre minutes plus tard, la jeune femme appelle Youssef. Le frère et la sœur ne se voient pourtant plus guère, Youssef n’a pas une grande estime pour Hasna : elle fume, prend de la coke et dit n’importe quoi. « Si elle l’appelle, elle lui parle forcément de Belkaïd », assure Me Chemla. Ils se sont joints « 36 ou 37 fois » à partir de ce moment, insiste l’avocat.

Dix minutes plus tard, Belkaïd donne à Hasna l’adresse d’Aubervilliers où se cachent les deux terroristes, et Youssef demande à sa sœur : « C’est Hamid ou le pote à Hamid ? » Ils sont les seuls à appeler Abdelhamid Abaaoud simplement Hamid. Hasna part vite voir le cousin, avec sa colocataire, qui a ensuite prévenu la police : Abaaoud ne leur cache pas qu’il a participé aux tueries du 13-Novembre, et qu’il entend bien recommencer.

Aussitôt après, à 21 h 58, Hasna appelle son frère, et lui envoie un message, « Hamid, il est dans l’… ». Youssef lui donne le numéro d’un autre téléphone plus sûr, lui demande bientôt des nouvelles, elle répond : « J’ai plus de batterie. Viens me chercher. Comme ça on part, j’te montre et j’te donne toute l’adresse. »

Message audio

Pour les enquêteurs, Youssef Aït Boulahcen savait très bien que son cousin se cachait et de quoi il était responsable. Ils ont retrouvé un message audio d’Hasna qui disait « Salam aleikoum Youssef. C’est important. Réponds là. Y a le cousin du bled là, le cousin de Belgique. Son pote là, il m’a appelé (…). Ça fait deux jours il dort au parc. Il a dit si tu peux l’héberger ou tu vois avec lui (…). Depuis tout à l’heure, ça m’appelle de Belgique ».

Me Chemla reprend : « Et quand Youssef dit “envoie-moi l’adresse de là où t’es”, ça veut bien dire “on y va ensemble”. Il sait très bien qui il va voir. Quand il va chez sa sœur, il arrive avec une brique de lait et des biscuits. Il nous a dit que c’est parce qu’on n’arrive pas chez les gens les mains vides ! Il est évident que les terroristes devaient être ravitaillés. »

Enfin, lorsqu’il se rend, après l’assaut, au commissariat pour témoigner, il prend soin de supprimer les messages de son téléphone, et en jette la puce. « Monsieur Aït Boulahcen, a conclu l’avocat, je ne vous crois pas. »

Me Frédérique Giffard a souligné de son côté le hiatus entre « le discours bien policé » du jeune homme, et la cagoule, le pistolet, les documents djihadistes retrouvés chez lui – des messages envoyés par des amis, a-t-il dit, et qu’il n’avait même pas lu en entier. Sans compter ses SMS en 2016 : « Vu l’ambiance et le climat nauséabond qui règne au pays de Charlie, LOL, j’ai envie d’aller voir un ami » au Mali. Ou sur les homosexuels : « Si j’étais un dirigeant moi : comme ils font Daech là ! Ils les jettent d’en haut des tours. »

Trois certitudes

L’avocate a trois certitudes : « Il savait qui était son cousin, il savait de quoi il était capable, et qu’il s’apprêtait à passer à nouveau à l’acte. » L’un des messages de sa sœur était d’ailleurs assez transparent : « Je l’ai vu, il veut te voir, il va bientôt mourir, à cause de son cancer, je pleure là. »

Seconde certitude : « Il savait qu’Hasna pouvait aller très loin, il l’avait reprise sur WhatsApp quand elle s’était réjouie des attentats, il connaissait son attachement à Abaaoud avec qui elle voulait même se marier. »

Dernière certitude, et l’analyse est assez fine : « Il était le mieux placé pour savoir ce qui était en train de se passer, assure Me Giffard. Il n’avait que mépris pour sa sœur, disait que sa mère avait un âge mental de 12 ans, c’était lui, le substitut du père. Et j’ai la conviction qu’il a voulu en être, qu’il se trouvait plus digne que sa sœur, elle qui se droguait entre deux parties de jambes en l’air et qui se retrouvait au cœur de l’action, alors que lui s’efforçait d’être un bon musulman. »

L’avocate estime qu’il a laissé Hasna courir à sa perte, aller à la mort. Et voit dans le code de son téléphone, 18-11-2015 – le jour de l’assaut du RAID – « le souci de glorifier la mort de sa sœur, qui était enfin devenue utile ».