Les joueuses nord-coréennes et sud-coréennes qui composeront l’équipe de hockey sur glace. / - / AFP

Une fois surmontées les difficultés politiques et l’amertume des certaines hockeyeuses sud-coréennes, évincées pour céder la place à leurs homologues nord-coréennes, afin de constituer une équipe olympique commune, les conditions semblaient réunies pour que les joueuses des deux pays donnent le meilleur d’elles-mêmes au cours des Jeux olympiques de Pyeonchang qui commencent dans dix jours.

Mais une difficulté inattendue est survenue lors de leur premier entraînement. Toutes parlent, bien évidemment, la même langue, mais elles n’utilisent pas le même vocabulaire sportif de leur discipline. Alors que le Sud a adopté des expressions anglaises « coréanisées », le Nord les a systématiquement traduites en coréen : skating devient « seu-kee-ting » dans le Sud tandis que, dans le Nord, on dira « apuro jee chee gee » et ainsi de suite. Pas facile dans ces conditions de réagir au quart de tour.

Evolution des langues dans une nation divisée

Afin d’éviter des quiproquos pénalisants, les autorités sud-coréennes ont établi un lexique des expressions utilisées dans le Sud et de leurs équivalents dans le Nord – auquel ils ont ajouté la prononciation anglicisée de ces dernières pour la coach de l’équipe sud-coréenne, Sarah Murray, qui est canadienne… Difficile de ne pas être lost in translation en ayant neuf jours pour s’entraîner, non seulement à agir en équipe, mais aussi à se comprendre.

Anecdotique, cette « incompréhension » entre les hockeyeuses du Nord et du Sud qui est toute relative n’en est pas moins révélatrice d’un phénomène plus large : l’évolution des langues dans les deux parties d’une Nation divisée depuis plus de soixante-dix ans et victime d’une guerre fratricide (1950-1953) qui a scellé leur séparation.

Les deux Corées utilisent, certes, un alphabet commun qui date du 15e siècle (que les Sudistes appellent hangul et les Nordistes chosongul). Mais dans sa ferveur nationaliste, le Nord a rejeté les mots d’origine étrangère et les a systématiquement traduits ou a forgé de nouveaux mots alors que le Sud a été plus enclin à introduire des mots anglais.

Plusieurs facteurs jouent dans cette difficulté à communiquer, souligne Patrick Maurus, professeur honoraire d’études coréennes à l’Institut des langues et civilisations orientales et traducteur d’œuvres littéraires des deux pays :

« Il y a certes des différences dialectales fortes, mais qui datent d’avant la guerre. L’essentiel tient à des différences lexicales. Le Nord comme le Sud ont adopté comme langue culturelle le dialecte de leur capitale. Ce qui implique de forts écarts de prononciation. A cela s’ajoute la volonté de chaque Corée de nommer chacun à sa manière les choses nouvelles ou les termes administratifs. Le Nord, enfin, n’utilise quasiment pas de konglish, c’est-à-dire les termes américains plus ou moins exacts qui envahissent le lexique du Sud. A l’écrit, le Nord se sert encore presque exclusivement de l’alphabet national tandis que le Sud affectionne les lettres mélangées : alphabet national, sinogrammes ou alphabet romain »

Fibre émotionnelle

Cette difficulté inattendue dans la coordination du jeu de l’équipe de hockeyeuses a avivé les controverses sur la formation de la première équipe sportive commune du Nord et du Sud depuis 1991. La droite sud-coréenne et les plus grands quotidiens nationaux jouent de la fibre émotionnelle de l’opinion et accusent le gouvernement d’avoir sacrifié des hockeyeuses à des intérêts politiques pour donner une fausse impression de rapprochement. Des analystes favorables à la décision de former une équipe commune font, en revanche, valoir que favoriser un sens d’unité entre les deux Corées est plus important que l’amertume, certes regrettable, de hockeyeuses évincées.

Le rapprochement intercoréen n’est pas exempt de tensions entre Pyongyang et Séoul  : courroucés par les commentaires « insultants » des grands quotidiens sudistes sur sa participation, la Corée du Nord a brutalement annulé un événement culturel préolympique qui devait avoir lieu le 4 février au mont Kumgang (en Corée du Nord).