C’est une mère silencieuse, un oncle mu par une colère froide et toute une communauté qui se soulève. Samedi 27 janvier, un pêcheur du quartier de Guet Ndar, à Saint-Louis au Sénégal, a été tué en mer par les gardes-côtes mauritaniens. Ils ont ouvert le feu sur la pirogue qui tirait ses filets près de la frontière maritime entre les deux pays. Révélé lundi, l’incident a provoqué la colère de la communauté des pêcheurs de Saint-Louis. Pour se venger, ces derniers s’en sont pris à des boutiques de commerçants mauritaniens qu’ils ont saccagées et pillées. Le monument aux morts de la guerre de 14-18 a été incendié ainsi que quatre véhicules. Puis la foule s’est dirigée vers la maison du gouverneur qui a tenté de calmer les esprits, appuyé par le ministre de l’intérieur dépêché de Dakar.

« Ils ont tué un père de famille qui faisait son travail pour nourrir sa famille. Comment va-t-elle faire aujourd’hui pour subvenir à ses besoins ? », lance Seydina Seck, l’oncle de la victime Serigne Fallou Sall, et propriétaire de la pirogue arraisonnée par les gardes-côtes mauritaniens. Il est assis dans sa cour à Guet Ndar sur la langue de barbarie, le quartier le plus densément peuplé du Sénégal. Une trentaine de proches, pêcheurs pour la plupart, sont réunis autour de lui et acquiescent silencieusement à ses propos. Il s’inquiète du sort des huit autres membres d’équipage aux arrêts à Nouakchott. Deux de ses fils, dont le capitaine de la pirogue, sont parmi les détenus. Il n’a aucune nouvelle.

« Trois à quatre pêcheurs tués chaque année »

Seydina Seck l’assure, son équipage a été attaqué vers 21h30 alors qu’il se trouvait dans les eaux sénégalaises. « J’ai conseillé à mes fils de ne pas aller en Mauritanie mais la frontière est difficile à voir, explique-t-il. Ils ont respecté mes consignes je le sais, et ils n’ont pas pu dériver en Mauritanie puisque le courant est sud. » Si certaines embarcations ont accès à des GPS par le biais de leur téléphone portable, la plupart des piroguiers naviguent encore à la boussole, parfois même aux étoiles.

L’équipage de Seck se serait-il simplement égaré ? Aurait-il débordé du côté mauritanien où les eaux sont notoirement plus poissonneuses du fait des restrictions de pêche imposées par Nouakchott ? Dans un communiqué publié mardi soir, l’armée mauritanienne a affirmé que la pirogue a tenté « d’entrer en collision avec la vedette de la patrouille pour endommager sa charpente (…) Devant cette situation dangereuse, et pour contraindre la pirogue à s’arrêter, la patrouille a tiré des coups de feu sur le moteur de l’embarcation pour le couper ». Suite à l’incident, Mohamed Ould Abdel Aziz, le président mauritanien, a présenté ses excuses à son homologue sénégalais qui a acheminé mardi un navire de la marine près de la frontière.

La photo de Fallou Sall, le jeune pêcheur tué en mer par les gardes-côtes mauritaniens samedi 27 janvier 2018. / Matteo Maillard

« Chaque année depuis dix ans, les gardes-côtes mauritaniens tuent trois à quatre pêcheurs sénégalais », affirme Mbaye Dieye Sène, président du collectif pour la sauvegarde de la pêche et du littoral de Saint-Louis. Une ville qui compte environ 50 000 pêcheurs.

« Si nous nous dirigeons vers les eaux mauritaniennes, c’est que notre espace de pêche rétrécit chaque année. Des chalutiers étrangers, chinois ou coréens, viennent vider nos eaux de leurs poissons, et avec la découverte de gisements de gaz à la frontière sénégalo-mauritanienne, cela va encore diminuer notre zone d’activité et créer des risques écologiques dans la région. »

La pêche, un secteur capital au Sénégal

Des complaintes qui s’adjoignent aux tensions croissantes entre les deux pays voisins. Depuis février 2017, une nouvelle réglementation mauritanienne oblige les piroguiers sénégalais à débarquer leurs prises en Mauritanie afin de les contrôler. Ceux qui n’ont pas l’une des 400 licences de pêche annuelles délivrées par Nouakchott tentent d’échapper aux arrestations, provoquant de violentes réactions des gardes-côtes. Ces derniers assurent pourtant qu’en 2017, sur « 62 opérations d’interception pour arrêter 108 pirogues et 930 pêcheurs jamais un seul cas de décès n’a été enregistré. »

Face aux accrochages réguliers, le ministre sénégalais de la pêche et de l’économie maritime, Oumar Guèye, conseille aux pêcheurs d’éviter les eaux mauritaniennes jusqu’à ce que les deux pays arrivent à trouver un point d’entente pour fixer de nouvelles réglementations. « Ce qu’on demande au gouvernement, c’est plus de licences et en parallèle un plan stratégique de transition qui prenne en compte les menaces que nous subissons pour permettre des reconversions aux pêcheurs qui ne peuvent plus exercer en toute sécurité », explique Mbaye Dieye Sène. Selon lui, ces difficultés ont fait perdre 14 milliards FCFA (21,2 millions d’euros) au secteur de la pêche en 2017. Celui-ci est capital au Sénégal. Selon les estimations, il rapporte au pays environ 200 milliards de FCFA et emploie 600 000 personnes.