Le président français, Emmanuel Macron, à la tribune de l’Assemblée des représentants du peuple, à Tunis, le 1er février. / ZOUBEIR SOUISSI / REUTERS

Au deuxième jour de sa visite d’Etat à Tunis, Emmanuel Macron s’est livré, jeudi 1er février, à une critique sans détour – la plus vive qu’il ait jusqu’alors prononcée – de l’intervention de l’OTAN en 2011 en Libye, à laquelle la France avait participé aux avant-postes à l’initiative de Nicolas Sarkozy. S’exprimant devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le président français a affirmé que « l’Europe, les Etats-Unis et quelques autres ont une responsabilité dans la situation actuelle en Libye », déclenchant les applaudissements des députés tunisiens. « Je n’oublie pas que plusieurs ont décidé qu’il fallait en finir avec le dirigeant libyen sans qu’il y ait pour autant de projet pour la suite », a déclaré M. Macron alors qu’il passait en revue les dangers sécuritaires qui pèsent sur la Tunisie.

« Quoi qu’on pense d’un dirigeant », a-t-il poursuivi, cette responsabilité a consisté à « imaginer qu’on pouvait se substituer à la souveraineté d’un peuple pour décider de son futur ». « Nous avons collectivement plongé la Libye depuis ces années dans l’anomie sans pouvoir régler la situation », a-t-il ajouté. Avant de s’envoler pour Dakar (Sénégal) en fin d’après-midi, M. Macron est revenu, une nouvelle fois, sur ce dossier libyen. S’il a admis que « la situation actuelle est d’abord due à des années de tyrannie », il a rappelé que « l’idée qu’on règle la situation d’un pays de façon unilatérale et militaire est une fausse idée ».

Temps fort de sa visite à Tunis, son intervention devant l’ARP lui a aussi fourni l’occasion de louer avec lyrisme la « démocratie inédite » en chantier en Tunisie. « Le monde arabe et toutes les rives de la Méditerranée vous regardent et ont besoin que vous réussissiez », a lancé aux députés M. Macron, précisant que « la page du printemps arabe et tunisien n’est pas tournée ». « Vous êtes en train de la faire vivre », a-t-il ajouté.

Alors que cette transition démocratique semble marquer le pas en Tunisie sept ans après la révolution de 2011, sous l’effet conjugué du marasme socio-économique et des velléités autoritaires de certains pans de l’appareil d’Etat, le président français a reconnu la « fragilité » et la « difficulté » du processus tout en accordant sa confiance aux dirigeants tunisiens. « Vous avez réussi à installer un Etat civil là où beaucoup pensaient que c’était impossible, a déclaré M. Macron. Et par cette révolution culturelle et démocratique, vous avez fait mentir ceux qui, partout dans le monde encore aujourd’hui, disent que les sociétés où l’islam est présent ne sont pas compatibles avec la démocratie. »

« La francophonie vous appartient au moins autant qu’elle appartient à la France »

La visite du chef de l’Etat français à Tunis lui a également fourni l’occasion de promouvoir la francophonie. « La francophonie vous appartient au moins autant qu’elle appartient à la France », a-t-il lancé à l’adresse des députés tunisiens. Avant de se rendre à l’Assemblée, M. Macron avait d’ailleurs inauguré l’Alliance française d’Ariana, un gouvernorat situé dans les environs de Tunis. Cinq autres antennes seront ouvertes en 2018 à travers le pays, notamment à Gabès et Kairouan, amorçant le retour des Alliances françaises en Tunisie.

L’économie était aussi au menu de la visite du chef de l’Etat. Devant un parterre de patrons réunis au palais des congrès de Tunis, à l’occasion du premier forum économique Tunisie-France, Emmanuel Macron a regretté la perte de vitesse des entreprises françaises dans le pays. Si près de 1 400 sociétés tricolores sont présentes en Tunisie, représentant quelque 140 000 emplois, Paris a perdu en 2017 sa place de premier fournisseur du pays, au profit de l’Italie. « Nous devons faire mieux et plus », a intimé le chef de l’Etat aux côtés du premier ministre tunisien, Youssef Chahed.

Emmanuel Macron a annoncé l’objectif d’un « doublement » du montant des investissements français dans le pays d’ici à la fin de son quinquennat. Actuellement, le montant des investissements français en Tunisie est d’environ 100 millions d’euros par an, ce qui place déjà la France au premier rang. Le président français était accompagné de plusieurs chefs d’entreprise, comme Stéphane Richard (Orange), Xavier Niel (vice-président du groupe Iliad et actionnaire à titre individuel du Monde) ou Alain Mérieux (BioMérieux).

Soutien à la société civile

Dernière étape de sa visite, M. Macron s’est rendu à l’Institut français de Tunis, où se déroulait une « journée franco-tunisienne de la société civile ». Le chef de l’Etat a déambulé quelques minutes parmi les stands des associations présentes, actives pour la défense des droits civils, ceux des homosexuels ou la promotion des femmes. Il s’est notamment vu offrir l’ouvrage Etre homosexuel au Maghreb, de Monia Lachheb, enseignante-chercheuse à l’Institut supérieur du sport et de l’éducation physique de Tunis et chercheuse associée à Institut de recherche sur le Maghreb contemporain.

Le président français a remercié les personnes présentes pour leur « mobilisation » et leur « engagement » avant de se prêter à une photo de groupe à l’issue de laquelle il a interrogé quelques acteurs associatifs sur les actions qu’ils menaient en Tunisie. Beaucoup de retenue et peu de selfies, contrairement à la séquence avec la communauté française mercredi soir.