Elisabeth Revol, le 31 janvier à Sallanches. / PHILIPPE DESMAZES / AFP

Depuis sa chambre d’hôpital, l’alpiniste Elisabeth Revol a fait pour la première fois, mercredi 31 janvier, le récit de sa conquête du neuvième sommet du monde, qui s’est achevée par un drame. Une « sacrée aventure » dont la Française est sortie indemne, tandis que son compagnon de cordée polonais, Tomasz Mackiewicz, n’est pas rentré.

A Sallanches (Haute-Savoie), où elle est soignée pour des gelures graves aux deux mains et au pied gauche, l’alpiniste de 37 ans a relaté sobrement son ascension sans oxygène ni sherpa du Nanga Parbat (8 126 m), au Pakistan. « C’était ma quatrième tentative hivernale, la septième pour Tomek et la troisième ensemble », a-t-elle détaillé. En « himalayistes » expérimentés, ils affrontaient de nouveau cette montagne dite « tueuse » sans appréhension, malgré les risques « que l’on accepte ».

« Là Tomek me dit “je ne vois plus rien” »

Partie de France le 15 décembre, Elisabeth Revol s’était engagée le 20 janvier, encordée avec Tomasz Mackiewicz, ce « passionné » de Polonais « en communion avec la montagne ». Quelques jours plus tard, à plus de 7 000 m d’altitude, ils touchent au but. « On était bien à ce moment-là », confie-t-elle. Ils tâtonnent pourtant dans « le cheminement compliqué » de la pyramide sommitale. A 17 h 15, un peu en retard, ils hésitent mais l’envie l’emporte : quarante-cinq minutes plus tard, c’est gagné. Mais le plaisir est de courte durée.

« Là Tomek me dit je ne vois plus rien. Il n’avait pas utilisé de masque car il y avait un petit voile pendant la journée et à la tombée de la nuit, il a eu une ophtalmie (une inflammation de l’œil). On n’a pas pris une seconde au sommet. C’était la fuite vers le bas ».

Tomek s’accroche à une de ses épaules et tous deux entreprennent une « descente très longue » en terrain plus que difficile, de nuit. « A un moment, il n’arrivait plus à respirer, il a enlevé la protection qu’il avait devant la bouche et a commencé à geler. Son nez devenait blanc et puis après les mains, les pieds », détaille celle qui envoie alors un message de détresse.

Au bas d’une cuvette, ils se mettent à l’abri du vent, mordant, dans une crevasse. Tomek n’a plus la force de remonter au camp. Au lever du jour, la situation est dramatique : « Il avait du sang qui coulait en permanence de sa bouche » : des signes d’œdèmes, d’après les médecins consultés a posteriori, stade ultime du mal aigu des montagnes, fatal si le blessé n’est pas soigné dans les plus brefs délais.

« J’ai alerté un peu tout le monde, parce que Tomek ne pouvait pas redescendre tout seul. »

Des messages sont échangés pour organiser les secours. Dont certains se sont perdus dans l’immensité himalayenne, suscitant des incompréhensions. « On m’a dit : Si tu descends à 6 000 m, on peut te récupérer et on peut récupérer Tomek à 7 200 m (en hélicoptère). Ça s’est fait comme ça. Ce n’est pas une décision que j’ai choisie, mais qui m’a été imposée ».

A Tomek qu’elle quitte alors, elle dit simplement : « Ecoute, les hélicos arrivent en fin d’après-midi, moi je suis obligée de descendre, ils vont venir te récupérer ». Elle envoie le point GPS de sa position, protège son ami tant bien que mal et, persuadée d’une issue heureuse, part « sans rien prendre, ni tente, ni duvet, rien ». « Parce que les hélicos arrivaient en fin d’après-midi », ressasse-t-elle. Mais ils ne sont pas arrivés.

Hallucination et nuit sans chaussure

C’est donc une seconde nuit dehors, « sans équipement ».

« Je savais que j’allais m’en sortir, j’étais dans mon trou, je grelotais de froid mais je n’étais pas dans une position désespérée. J’avais plus peur pour Tomek, beaucoup plus affaibli ».

L’altitude lui provoque alors une hallucination – elle y avait toujours échappé jusqu’alors. Elle imagine que des personnes viennent lui porter « du thé chaud ».

« Une dame m’a demandé : Est-ce que je peux prendre ta chaussure ? À ce moment-là, machinalement, je me lève, j’enlève ma chaussure et je lui donne. Le matin, je me suis réveillée, j’avais simplement ma chaussette."

Elle passe le pied à l’air pendant cinq heures. C’est la gelure au pied gauche. Quand le jour revient, elle compte toujours sur les secours. Posée à 6 800 m, Elisabeth décide de ne pas bouger, pour « se préserver, emmagasiner de la chaleur ». Elle entend une rotation d’hélicoptère en bas du glacier « mais il était déjà trop tard, le vent se levait ».

Quand elle apprend que l’hélicoptère ne pourra venir que le lendemain, et qu’elle va devoir passer une troisième nuit dehors, elle choisir de descendre. « Ça commençait à être une question de survie », dit la jeune femme, qui n’avait pas reçu le texto lui annonçant que deux alpinistes polonais partaient à sa rencontre.

« Je me suis mise à hurler »

Elle décrit une descente prudente, « calme », malgré des « gants humides », le « froid vif » qui gèle ses doigts et la « douleur » dès qu’elle tient une des cordes fixes de l’itinéraire. Vers 3 h 30 du matin, elle atteint le camp 2 vers 6 300m. « J’ai vu deux frontales dans la nuit. Je me suis mise à hurler et je me suis dit : C’est bon », ajoute l’alpiniste. « Ça a été une grosse émotion », admet cette grande pudique. D’autant que ses deux sauveteurs sont Adam Bielecki, qu’elle connaît – ils avaient un projet d’ascension dans l’Everest – et Denis Urubko, sa légende sur les 8 000 mètres.

La suite est connue : son évacuation vers Islamabad dimanche, son retour en France mardi soir. L’avenir, Elisabeth Revol l’aborde au jour le jour. « Récupérer au maximum », éviter peut-être l’amputation, et surtout « aller voir les enfants » de Tomek. Repartir en montagne ? L’enseignante drômoise reconnaît qu’elle a « besoin de ça ». « C’est tellement beau », dit-elle.

Himalaya : une alpiniste française sauvée in extremis
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