France Culture à la demande

The Wire Trailer (HBO)
Durée : 02:43

Dans son émission « La Compagnie des auteurs », sur France Culture, Matthieu Garrigou-Lagrange a réuni plusieurs universitaires, entre le 22 et le 25 janvier, pour évoquer l’œuvre de David Simon. Chroniqueur judiciaire américain au Baltimore Sun, celui-ci est parti de son expérience dans les ghettos de la ville et de nombreuses autres enquêtes pour écrire ses livres, avant de les adapter pour la télévision. En fil rouge de cette semaine consacrée au scénariste de The Deuce, la série que beaucoup (dont Time Magazine et Barack Obama) considèrent comme la meilleure jamais créée : Sur écoute (The Wire, 2002-2008).

Ce titre, The Wire, renvoie autant aux écoutes téléphoniques auxquelles la police de Baltimore procède pour démembrer un trafic de drogue, qu’aux barbelés réels ou psychiques qui font frontière entre les habitants, les quartiers et les classes sociales. « Sur écoute est une critique du statu quo américain », notait David Simon au micro de France Culture en 2012. Au cours de cet entretien, il précisait : « Les objectifs que je me fixe sont les mêmes que lorsque j’étais journaliste : j’essaie d’expliquer les problématiques auxquelles je me sens confronté. J’essaie de décrire la dynamique de la société. »

Capitalisme malfaisant

C’est si vrai que, pour le philosophe Mathieu Potte-Bonneville, qui a contribué à l’ouvrage The Wire : reconstitution collective (Les Prairies ordinaires, 2011), David Simon, dans The Wire, « fait de l’histoire ». « Mais de l’histoire vue d’en bas, telle que ressentie par en bas, précise-t-il. Les grandes transformations qui sont en train de se produire (la manière dont le néolibéralisme va peser sur les pratiques de la police ou sur celles de la politique) donnent lieu à une sorte de grondement qui vient affecter, de très loin, et sans qu’ils y puissent grand-chose, les acteurs sociaux. Ce qui va les contraindre à adapter leurs comportements. »

Une analyse que corrobore à sa manière Ariane Hudelet, l’auteu­re de The Wire : les règles du jeu (PUF, 2016), lorsqu’elle note la façon dont cette série s’inscrit dans la lignée de la tragédie grecque. Les dieux, dont les personnages sont les jouets, se présentent ici sous la forme d’un capitalisme malfaisant, d’institutions déshumanisées pour lesquelles l’individu n’est rien. Et le chœur antique, commentant l’action avec une distance ironique, est notamment représenté par Bubbles, personnage drogué des plus attachants. « David Simon se présente comme un socialiste, note Ariane Hudelet. Il se montre très critique de ce néocapitalisme ultralibéral où l’humain n’a plus aucun sens, où l’argent est totalement dématérialisé, où la finance s’apparente à un jeu déconnecté du réel. »

Wendell Pierce  et et Dominic West dans « The Wire » / OCS

Autre aspect intéressant abordé au fil de ces échanges : le statut de la série télévisée aujourd’hui. Entre roman et cinéma ? Empruntant un peu aux deux ? « The Wire, c’est le manifeste d’une télévision qui s’est en quelque sorte émancipée du cinéma, estime Mathieu Potte-Bonneville. Au fond, The Wire dit : “Je n’ai pas besoin, pour raconter une histoire, de faire comme si c’était du cinéma ; la télévision permet de faire autre chose.” »

« La Compagnie des auteurs » : David Simon, produit par Matthieu Garrigou-Lagrange(4 × 60 minutes). Emission diffusée sur France Culture et disponible à la demande