La classe de CIB de l’école Madina 3 à Niamey. Les enfants y apprennent leur leçon en zarma, la langue parlée à L’ouest du Niger. / Marie Maurel

Des garçonnets et fillettes en sandales, dans des anoraks trop grands ou trop serrés, rivalisent pour répondre aux questions. Sur leur table, un livre, un cahier chiffonné, une ardoise. Une spacieuse classe en dur, volets vert vif, et une grande cour avec un éclatant jardin regorgeant de salades et de choux offrent aux élèves du quartier un accueil qui reste encore exceptionnel au Niger.

Découvrez notre série : La classe africaine

A l’âge de l’arrivée à l’école, ces tout petits se plongent, concentrés, dans les profondeurs de leur cartable ; se précipitent au seau d’eau pour faire goutter leurs doigts sur les ardoises où ils dessinent, un peu maladroits, les chiffres de 1 à 20.

Infographie "Le Monde"

Nous sommes au cours d’initiation (CI) au zarma (la langue la plus parlée à l’ouest du Niger), dans la classe de CIB (première année de l’école élémentaire) de Madina 3 à Niamey, l’une des 5 000 écoles du Niger qui pratiquent désormais l’enseignement en langues nationales dans les premières années du primaire.

Ultime espoir de redressement

Après des années de politique quantitative ayant abouti, depuis 2001, au doublement du taux brut de scolarisation – de 35 % à 76,2 % selon les autorités – et à l’effondrement du niveau, l’ambitieuse réforme introduisant à grande échelle, depuis 2017, les langues nationales dans les premières années du primaire, apparaît comme un ultime espoir de redressement d’un système éducatif en crise.

Deux tiers des élèves achèvent désormais le cycle primaire, avec un niveau de connaissances souvent très faible. Très peu vont jusqu’au collège et au lycée. Ils ne sont que quelques dizaines de milliers dans l’enseignement supérieur pour un pays de 20 millions d’habitants.

Rabiou Rachida est l’enseignante contractuelle de la classe de CIB, à Madina 3. A 29 ans, elle dirige ses 45 élèves d’une poigne ferme et d’une voix qui claque. « En zarma, les enfants comprennent plus facilement et plus vite qu’en français », affirme-t-elle. Le français, langue officielle du Niger, est cantonné au cours quotidien de langage, un petit dialogue de la vie courante appris par cœur.

Au CPB, la deuxième année du primaire, Mme Safia Ali, elle aussi contractuelle, est satisfaite de la réforme. « Ils écrivent bien. Ils suivent bien les lignes. Ils sont meilleurs qu’avant en calcul. On va jusqu’aux opérations à trois chiffres maintenant. »

En deuxième année, le français fait son apparition en lecture. A partir du CE2, l’enseignement se fait en deux langues puis, au cours moyen et jusqu’au lycée, en français seulement.

Pour les enseignants, à 80 % contractuels, le français reste souvent difficile, surtout chez les femmes qui ne le pratiquent guère dans la vie quotidienne.

Raoua Boukar est la directrice du curriculum et de la réforme des langues nationales au ministère de l’enseignement primaire. Depuis les années 70, des écoles expérimentales en langues nationales ont fait localement la preuve de leur efficacité. Mais la mise en œuvre de la réforme a pris des années.

« Il a d’abord fallu équiper les langues : les linguistes ont fixé la grammaire, l’orthographe et le lexique dans toutes les langues. En 2011, le processus a été relancé et nous avons commencé à élaborer des supports pédagogiques et didactiques. Finalement, ces supports définitifs du CI ont été expérimentés dans 500 écoles et dans cinq langues (haoussa, zarma, peul, tamachek et kanouri). Dans l’intervalle, trois autres langues étaient équipées (toubou, boudouma et gourmantchéma). En mai 2017, l’évaluation conduite sur les 500 écoles a été concluante. L’expérience a donc été étendue à 5 000 écoles à la dernière rentrée. »

La classe africaine : état de l'éducation en Afrique
Durée : 01:52

Un Nigérien sur deux a moins de 15 ans

Le chantier doit se poursuivre pour concerner, à terme, l’ensemble des 17 300 écoles du Niger, et les six niveaux du primaire. Il faut pour cela produire les manuels et former chaque année 10 000 enseignants et directeurs d’écoles dans « la langue du milieu ».

Une cartographie sociolinguistique du pays, qui doit être produite en 2018, devrait permettre de trouver le moyen d’offrir à tous les enfants un enseignement dans leur langue maternelle, comme le prévoit la Constitution. Reste que dans certaines langues, le peul par exemple, il n’existe pas suffisamment d’enseignants disponibles.

« Le principal défi, c’est le financement. Parce que la réforme a repensé le système dans son ensemble. Il a fallu reprendre tout le programme, réécrire tous les supports, les imprimer et les mettre à disposition des élèves et des enseignants », poursuit Mme Boukar. Pour le moment, seuls les manuels de CI en langues nationales et en français sont disponibles, et pas dans toutes les écoles.

Au Niger, l’école doit surmonter d’innombrables difficultés.

La quantité, d’abord. 500 000 nouveaux élèves chaque année, dans un pays qui cumule l’un des plus forts taux de croissance démographique de la planète (3,9 % par an) et une place d’avant-dernier à l’indice du développement humain. Dans ce pays où un citoyen sur deux a moins de 15 ans, l’éducation est plus qu’ailleurs une priorité absolue.

La population double tous les 18 ans et pour suivre cette infernale cadence, il faut une planification exigeante et des moyens, tant financiers qu’humains, difficiles à mobiliser. « Tout est prioritaire : les classes, les tables et les bancs, les livres, les enseignants. Les besoins sont infinis : au préscolaire, au primaire, au collège, au lycée, à l’université et dans l’enseignement professionnels », résume le professeur Abdelkader Galy, coordonnateur de la Cellule d’appui à la mise en œuvre et au suivi du Programme sectoriel de l’éducation et de la formation, qui gère la formation au niveau interministériel.

La qualité, ensuite. Au primaire, lorsque l’on combine les résultats des élèves en français et en mathématiques, le Niger est dernier parmi dix pays de la région évalués en 2014 par la Conférence des ministres de l’Education des Etats et gouvernements de la Francophonie.

Niveau calamiteux des enseignants

En fin de cycle primaire, neuf élèves sur dix sont en dessous du seuil « suffisant » en langue et en mathématiques. Les causes de cet échec massif ? Outre le manque d’enseignants dans certaines zones et un absentéisme chronique, la langue d’enseignement et le faible niveau de compétences des enseignants apparaissent comme des causes majeures.

Pendant les vacances estivales de 2017, entre 7 000 et 13 000 enseignants contractuels ont été renvoyés après une évaluation ayant révélé un niveau calamiteux. La mesure a été saluée comme « très courageuse » par certains partenaires techniques et financiers et dénoncée pendant des mois par les organisations syndicales.

Le défi financier dépasse largement les moyens du Niger. On déplore régulièrement des mouvements de grève liés au retard de paiement des salaires des enseignants ou des bourses des étudiants. Un fonds commun sécurisé pour l’éducation de base rassemble déjà plusieurs bailleurs de fonds (Agence française de développement, Unicef, Luxembourg, Suisse, Norvège). Pour le moment, ce fonds ne couvre que 2 % du budget 2018 de l’éducation sur un total de contributions extérieures s’élèvant à 21 %, mais il doit encore être élargi.

« Le Niger tente de donner toutes les garanties de bonne gestion du système de l’éducation pour que les contributions des partenaires soient en croissance importante dans les années qui viennent », explique le professeur Abdelkader Galy. « Car, en réalité, c’est un recommencement. Nous devons maintenir ce qui existe avec ses faiblesses, le temps de préparer ce qui sera durable. »

Sommaire de notre série La classe africaine

Présentation de notre série : La classe africaine

De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.