Les chiffres donnent le vertige. Depuis le mois de décembre 2017, l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, qui a émis plusieurs bulletins d’alerte, enregistre tous les jours six nouveaux cas de rougeole. Déjà près de 200 au total. Un épisode épidémique inédit. « La rougeole est une infection virale extrêmement contagieuse qui peut avoir de graves complications pulmonaires et neurologiques, définit Annie Burbaud, médecin de l’ARS. Un seul malade infecté peut contaminer jusqu’à vingt personnes. »

Le foyer de l’épidémie est girondin. Quelques malades isolés ont bien été recensés au printemps dans la Vienne, en Haute-Vienne ou en septembre dans l’agglomération bordelaise, au sein de la communauté des gens du voyage. Mais c’est dans différents sites du campus universitaire de Bordeaux que se sont déclarés les derniers cas. Juste avant les vacances scolaires qui ont vu les étudiants retourner dans leurs familles.

« A cette époque, l’Hexagone était touché par la grippe qui a sans doute retardé le bon diagnostic », souligne Annie Burbaud. « La rougeole avait disparu de nos radars, elle ne fait pas partie du top 10 des maladies à chercher », justifie Paul-Henry Rocca, médecin généraliste à Bordeaux. Il admet « avoir laissé passer un cas », il y a quelques semaines. Car les premiers symptômes ressemblent à s’y méprendre à ceux d’une grippe : température élevée, écoulement nasal persistant, yeux larmoyants et état de fatigue générale. « Mais dès que des boutons apparaissent, le doute n’est plus permis. »

La vaccination seule parade

« C’est loin d’être la psychose, explique le docteur Bernard Plédran, président régional du syndicat MG France. Plutôt la recrudescence de cas d’une maladie qu’on espérait à tort éradiquée. »

La seule parade contre la propagation est préventive et passe par la vaccination, obligatoire depuis le 1er janvier 2018 sur les nouveau-nés et seulement recommandée depuis 1980. La Nouvelle-Aquitaine fait figure de mauvais élève avec une couverture vaccinale de 60 à 81 % selon les départements, quand l’Organisation mondiale de la santé en préconise 95 % pour éradiquer la rougeole. C’est ce qui explique que le virus continue à circuler. « Il est toujours là. Dans l’air. C’est pourquoi nous devons être vigilants et réactifs dès qu’un cas est déclaré pour repérer les personnes qui ont été à son contact », explique Annie Burbaud.

Au standard du groupe médical dans lequel exerce Paul-Henry Rocca, « c’est la folie ». La secrétaire raccroche pour mieux prendre appel sur appel. « Depuis lundi, nous avons une flambée des demandes d’information sur la rougeole, a constaté le docteur Rocca. Faire peur avec les alertes sanitaires c’est bien, mais c’est à nous, derrière, de rassurer. Il y a nettement une “réinquiétude” de patients, souvent âgés de plus de 50 ans, qui se font du souci pour leurs petits-enfants, qui ne savent plus s’ils ont eu la rougeole ce qui les immuniserait à vie, s’ils sont vaccinés ni où tout cela est écrit. »

« C’est le problème du vagabondage médical », remarque Bernard Plédran qui reçoit, lui aussi, des patients en demande de revaccination. « Et puis, historiquement, c’était un vaccin à une dose. Puis à deux. Donc, il y a toute une frange de la population qui est passée à l’as de la deuxième vaccination et qui se croit protégée sans l’être contre une maladie sévère. » Selon l’ARS, 80 % des cas de cet hiver concernent des jeunes adultes qui n’étaient pas vaccinés du tout. Les autres n’avaient effectivement reçu qu’une injection du vaccin. 28 % ont dû être hospitalisés.

Et la rougeole a frappé à l’intérieur même de l’hôpital suite à la venue aux urgences de personnes contaminées. « C’est une des pathologies infectieuses les plus contagieuses », rappelle Agnès Lasheras, médecin au service d’hygiène hospitalière du CHU de Bordeaux. « Les professionnels n’avaient pas tous eu le vaccin complet. D’importantes mesures ont été prises comme le port du masque, le rattrapage vaccinal, l’envoi de courriers à des patients. » « Mais compte tenu de l’information donnée, nous sommes dans une phase où on devrait contenir l’épidémie », conclut Annie Burbaud.