Le lycée du Parc à Lyon, qui accueille de nombreuses classes prépas. / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

« Oui, la prépa est difficile mais elle vaut le coup quand même », « Avec un recul de cinq mois, je dirais finalement que la prépa n’est pas si terrible qu’on peut le penser », « L’excellence qui se trouve au bout du tunnel vaut bien le sacrifice »… Lorsqu’on demande à des élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) s’ils sont « heureux » dans ces formations destinées à préparer, entre autres, les concours des écoles d’ingénieurs et de commerce, d’études vétérinaires ou encore de Normale Sup, leurs réactions ne se font pas attendre : en quelques heures, plus de 150 avaient répondu à notre appel à témoignages sur LeMonde.fr.

Ces témoignages portent en eux l’envie d’expliquer la « prépa », dont on parle, selon eux, trop souvent de manière négative. En se contentant d’évoquer les sacrifices ou souffrances qu’elle implique pour les quelque 86 000 élèves concernés en France (8 000 de plus qu’il y a dix ans !), sans parler suffisamment des raisons qu’ils ont de s’y épanouir.

Une formation « éprouvante »

Pour autant, une majorité de ces étudiants évoque spontanément ce quotidien parfois difficile en classe préparatoire… avant de relativiser en expliquant comment ils ont dépassé les difficultés. « L’année dernière, je m’étais bien dit que je devrais beaucoup travailler, et surtout régulièrement, mais je ne m’attendais pas à ce que le rythme soit aussi éprouvant », explique ainsi Laurie, en prépa ECE (économique et commerciale, option économique) à Lyon. Résultat : « Moi qui ne faisais jamais de sieste, j’en suis devenue une adepte », sourit-elle, avant d’ajouter qu’« il est parfois difficile de rester motivée quand les heures passées à travailler ne se reflètent pas dans les notes ».

Traditionnellement, les enseignants de prépa notent en effet plus « sèchement » qu’au lycée. Or, pour les bons élèves habitués à briller durant leur scolarité, ce nouveau rapport aux notes est parfois un choc. Les six premiers mois de l’année constituent une sorte de « blessure narcissique », analyse Alice, 18 ans, élève à Rennes, elle aussi en prépa ECE. Il faut, selon elle, du temps pour comprendre qu’« on n’est pas nul parce que le prof de maths nous a rendu un 3/20 ».  Il faut aussi du temps pour « se faire une raison et apprendre à travailler pour soi et non pour la note ».

« Il faut du temps pour apprendre à travailler pour soi et non pour la note »

D’autres étudiants ou anciens étudiants abondent, en mettant aussi en cause une sévérité des enseignants pouvant être mal vécue : « Je voyais souvent des élèves sortir de “kholle” les larmes aux yeux, suite aux remarques crues du professeur », raconte Emmanuel, en deuxième année de prépa commerciale. Anouk, étudiante en hypokhâgne BL « lettres et sciences sociales », évoque, elle, une « violence symbolique assez nette » lorsque les professeurs « parlent de choses évidentes mais dont certains n’ont jamais entendu parler ». De quoi faire « fuir les élèves ayant le moins de bagage culturel », selon elle.

D’autres témoignages tempèrent cette vision, rappelant que la situation et la « dureté » de la formation est contrastée selon que l’on est en première ou en deuxième année de CPGE, selon que l’on a été pris « dans un petit lycée de province » ne visant pas nécessairement les très grandes écoles, ou une « grande prépa parisienne » où la pression est plus forte.

Epanouissement

Un emploi du temps à rallonge, une montagne de livres à avaler, des dizaines d’exercices à faire et le stress à apprivoiser ; la majorité des témoignages rappellent ainsi que l’excellence à un coût… mais la plupart ajoutent que l’épanouissement est au rendez-vous. Alors, bien sûr, « des fois on se demande ce qu’on fout là, pourquoi on s’inflige ça à nous-même », concède Juliette, en deuxième année de prépa BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre). Avant d’expliquer, comme d’autres, que c’est son rêve qui la motive au jour le jour, en l’occurrence « devenir vétérinaire ».

« Je suis en prépa, en plein dans les révisions de mes concours et, pourtant, je suis heureux »

Mais ce qui les aide à tenir, ce n’est pas seulement l’objectif de réussir les concours : celui-ci apparaît même parfois secondaire en filière littéraire, où le nombre d’écoles et de places disponibles est bien moindre que dans les filières scientifiques et économiques. Une grande majorité d’élèves loue « l’émulation intellectuelle » qui est au bout du chemin.

« Je suis en prépa, en plein dans les révisions de mes concours et, pourtant, je suis heureux », confie Marin, 19 ans, en prépa commerce. La raison ? Il a la satisfaction que ces deux années intenses lui permettent de « franchir un réel cap intellectuel, d’acquérir une relative compréhension du monde dans lequel on évolue », « d’apprendre à interroger en permanence les connaissances théoriques acquises », sans pour autant laisser sa « vie personnelle sur le côté ».

Entraide

Comme d’autres, Marin tient à dire casser l’image de solitude ou « d’ermite » qui colle aux élèves de prépa : « Je continue de faire du sport, de voir mes amis, ma famille : tout est question d’organisation. » Clément, 18 ans explique, lui, que la prépa ne l’a « pas empêché de rester avec [sa] copine. Rien ne sert de culpabiliser d’avoir un copain ou une copine lorsqu’on est en prépa [car] cela apporte beaucoup de soutien ».

Loin de l’image de compétition entre élèves qui, là encore, vient en tête lorsqu’on pense CPGE, de nombreux témoignages parlent d’une forte solidarité, à même d’aider à garder la tête hors de l’eau quand les temps sont durs. « Je n’ai jamais été dans une classe avec un tel esprit de groupe », commente ainsi Louise, de Rennes. D’autres racontent trouver soutien et épanouissement dans la proximité avec les enseignants, qui leur paraissent beaucoup plus disponibles que dans d’autres formations.

Certains étudiants en profitent pour donner des conseils aux lycéens qui seraient tentés par l’« expérience » prépa. Comme Connor, 19 ans, en prépa au Mans : « Pour tenir en CPGE, il faut toujours se rappeler du but final », ne pas se focaliser sur les échecs et « chercher la joie où on peut : le plaisir d’une colle réussie, la liberté en sortant d’un devoir surveillé le samedi ». 

Alors peut-on être heureux en prépa ? Certains lecteurs se posent la question à la fin de leur récit, sans toujours trouver de réponse. « Aujourd’hui, je ne me demande pas si je suis heureuse, je n’ai pas le temps d’y penser », commente ainsi Sasha, 19 ans. « Pas malheureuse », « pas complètement heureuse non plus » lors de ses « deux belles années » de prépa lyonnaise : elle n’arrive pas à choisir. Elle conclut, sous la forme d’une nouvelle interrogation : « Si mes années de prépa ont été les pires de ma vie, elles sont sûrement aussi les meilleures parce qu’elles m’ont appris sur moi, mes limites, mon envie de liberté… »