Wout van Aert a remporté à Belvaux, en 2017, son deuxième titre de champion du monde. / Youmni Kezzouf

D’octobre à février, alors que la plupart des cyclistes préparent bien au chaud la prochaine saison, d’autres sortent du bois : les cyclocrossmen. Le cyclo-cross se nourrit d’embûches et de souffrance. C’est ce qui fait le sel de cette discipline, reine dans les Flandres. Une heure de course sur un circuit de quelques kilomètres, entre côtes courtes mais raides, où le porté de vélo est nécessaire, et descentes boueuses qui défient l’équilibre des concurrents. Tous les week-ends d’automne et d’hiver, les coureurs arpentent le Benelux pour affronter un parcours différent. A chaque course ses obstacles, mais il reste des incontournables : un terrain difficile et souvent boueux, des dénivelés importants, des supporteurs flamands endiablés au bord du circuit, dans une odeur tenace de bière blonde, de frites et de sous-bois.

L’effort demandé sur un parcours est bref. Pas de longue descente pour se reposer après avoir gravi un col. Une heure, à bloc, tout le temps. Pour Frédéric Grappe, directeur de la performance des routiers de l’équipe FDJ, « les coureurs sont de gros moteurs, ils ont de grosses VO2 Max. Des vrais rouleaux compresseurs. » Les jambes en feu, l’esprit aiguisé, sur des terrains particulièrement accidentés, entre boue, racines et arbres, la concentration doit être maximale. « Ce sont des gens qui ont une très grande finesse perceptive. Ils vont ressentir des choses sur chaque coup de pédale », précise l’entraîneur.

GoPro
Durée : 01:34
Images : Florian Hénaut

Sport viscéralement flamand, extrêmement populaire de l’autre côté des Ardennes, le cyclo-cross est pourtant né en France. Son histoire est jalonnée de grands noms du cyclisme sur route, passés par la discipline avec brio. Au panthéon du cyclo-cross, on trouve Géo Lefèvre, cocréateur du Tour de France mais également, en 1903, du premier « cyclo-cross pédestre ». La légende raconte qu’il se serait inspiré de déplacements des soldats de la guerre franco-prussienne de 1870, obligés de passer par des chemins de traverse, vélo sur le dos et bottes dans la boue. Chasse gardée des Français pendant longtemps, la discipline traverse la frontière pour ensuite connaître une longue domination flamande : difficile désormais pour les tricolores, comme Francis Mourey ou Clément Venturini, de rivaliser avec les meilleurs.

« Ça fait partie de notre code génétique  »

En Belgique dans la province d’Anvers, la ville de Lille, que le reporteur inattentif peut confondre avec son homologue française (Rijsel en flamand), affiche sa fierté. Chaque pancarte dressée le long de la rue principale célèbre les exploits de l’enfant du pays, Wout van Aert. Originaire de la région, Guy van den Langenbergh est journaliste pour le quotidien flamand Het Nieuwsblad depuis douze ans. Il suit toutes les courses de la saison et pour lui la passion belge est culturelle. « Dans les Flandres, le vélo est populaire. C’est plus qu’un sport, ça fait partie de notre religion, de notre code génétique. » Et si les Flandres sont le pays du vélo, Lille en est la capitale. La ville compte 16 000 habitants et quatre champions du monde de cyclo-cross.

Ici, la discipline est un rituel. Ceux qui ne vont pas sur les circuits se réunissent dans l’un des deux bars qui se font face, sur la place de l’Eglise. L’un est le quartier général des supporteurs de Sanne Cant, championne du monde chez les femmes ; l’autre de ceux de Wout van Aert, 23 ans et déjà double champion chez les hommes. Les photos du champion dominent le comptoir, à côté duquel trône la pièce maîtresse du lieu : une statue cartonnée du coureur belge, taille réelle.

C’est ici que Gilberte Geysen a ses habitudes. La sexagénaire habite à Lille depuis toujours. Elle l’affirme comme une évidence : « Tout le monde ici est fan. Tout le monde ne se déplace pas sur le circuit, mais tout le monde est fan. » Le sourire aux lèvres et une note de nostalgie dans la voix, elle se souvient du temps où sa passion a commencé, avec Paul Herijgers. En 1994, le cyclocrossman est sacré champion du monde à Coxyde, sur la côte belge. Le premier champion du monde de Lille, où il vit encore aujourd’hui. « Je l’ai rencontré il y a trente-sept ans, je faisais partie de ses mécaniciens. Tout n’était pas aussi professionnel à l’époque, raconte Gilberte Geysen. Nous sommes allés en Allemagne, en Italie, en Suisse, en France, en Angleterre… Le tout dans le vieux van de mes parents, avec juste un matelas sur lequel dormir et trois vélos. »

Une domination belge

Au-delà de Lille, toute la Belgique peut s’enorgueillir des titres de ses cyclocrossmen. Avec Wout van Aert, c’est la 29e fois qu’un Belge est sacré en soixante-huit Championnats du monde. Eric De Vlaeminck le premier, en 1966, sera couronné sept fois au total. En 1975, c’est au tour de son petit frère Roger, « Monsieur Paris-Roubaix », plus connu pour ses exploits sur route. Tous ont contribué à faire de la Belgique la nation reine de la discipline : sur les vingt derniers champions du monde de cyclo-cross, quatorze sont Belges.

Michel Wuyts commente la discipline pour la télévision belge depuis vingt-trois ans. Entre deux courses, le journaliste se souvient : « En 1998, on a pris la décision de retransmettre en direct la course à la télévision. Et ça été populaire tout de suite. » Cette année-là, les Belges Mario De Clercq et Erwin Vervecken sont médaillés d’or et d’argent aux Championnats du monde. Depuis, les audiences atteignent régulièrement un million et demi de téléspectateurs, et les compétitions féminines ont déjà rassemblé plus d’un million de passionnés devant leur écran.

« Les Belges aiment voir des êtres humains dans la boue donner tout ce qu’ils ont, pendant qu’eux sont bien au chaud dans leur appartement », s’amuse Michel Wuyts. Et, selon son confrère Guy van den Langenbergh, « c’est un sport très compact, ça ne dure qu’une heure et il se passe toujours quelque chose. Alors qu’une étape du Tour de France, ça prend trois ou quatre heures d’émission durant lesquelles il ne se passe rien sauf dans les vingt derniers kilomètres. Le cyclo-cross, c’est la formule parfaite. »

Le Néerlandais Mathieu van der Poel a écrasé la Coupe du monde cette saison. / Youmni Kezzouf

Ces derniers temps, le petit monde du cyclo-cross n’a qu’un nom à la bouche : Mathieu van der Poel. Petit prodige de la discipline, le plus belge des Néerlandais a tout pour plaire. Devenu en 2015, à seulement 20 ans et 12 jours, le plus jeune champion du monde de cyclo-cross de l’histoire, van der Poel est un phénomène. Ses duels avec Wout van Aert, de trois mois son aîné, ont rythmé les deux dernières saisons. Mais cette année van der Poel, qui est né et a grandi en Belgique, domine largement son rival. Il a remporté haut la main sept des neuf manches de Coupe du monde et semble imbattable.

Alors qu’on lui promet un avenir brillant sur la route et qu’on le compare à Peter Sagan, le Néerlandais peut compter sur des conseils de qualité au moment de basculer vers un cyclisme plus estival. Son père, Adrie van der Poel, fut un bon coureur de classique, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège et du Tour des Flandres dans les années 1980, et a même porté le maillot jaune. Quant à son grand-père, Raymond Poulidor, il n’a jamais eu la chance de porter cette tunique. Mais il est tout à fait capable de lui prodiguer de précieux conseils et voit déjà en son petit-fils « un futur excellent coureur à étapes ».

Michel Wuyts
Durée : 01:21
Images : Florian Hénaut