Mohamed Soumah et Jawad Bendaoud, le 24 janvier 2018. / BENOIT PEYRUCQ / AFP

Les parties civiles, victimes et familles des victimes des attentats de Paris et Saint-Denis, continuent à affluer au procès de Jawad Bendaoud et des deux hommes accusés d’avoir hébergé deux des terroristes. Elles étaient déjà 687, vendredi 2 février, représentées par 90 avocats, dont 24 seulement, dans un louable et rare souci d’autodiscipline, ont plaidé depuis mercredi – deux autres ont estimé que leur qualité ne leur permettait pas de plaider avec le flot, et se sont réservés l’audience de lundi.

Les interventions sont nécessairement d’un intérêt divers. Les parties civiles ont déjà à cœur de prouver au tribunal qu’elles sont recevables et qu’elles ont leur place dans le procès : si la question de leur préjudice ne se pose pas pour les attentats, elle est plus épineuse dans le procès des logeurs, qui ne sont pas, pour la justice, des terroristes.

Sur le fond de l’affaire, trois avocats avaient mercredi dit tout le mal qu’ils pensaient de Youssef Aït Boulahcen, accusé de non-dénonciation de crime et fort suspecté d’être un islamiste plus radical que ce qu’il en convenait.

L’avocate Claire Josserand-Schmidt s’est ensuite attaquée jeudi au cas de Mohamed Soumah, dit « Mouss », qui se présente comme un aimable revendeur de cocaïne de Saint-Denis et a mis en contact Hasna, la sœur de Youssef Aït Boulahcen, avec son copain Jawad Bendaoud pour loger deux des terroristes après les attentats du 13 novembre 2015. Il jure qu’il n’en savait rien, et qu’il essayait surtout de mettre Hasna Aït Boulahcen dans son lit. « M. Soumah fait tout pour échapper à sa responsabilité, a dit Me Josserand-Schmidt, il s’est planqué, ça a été dur de le retrouver quinze jours après. Il a détruit sa puce de téléphone et il a attendu. A l’audience, il donne l’impression de se cacher derrière M. Bendaoud qui, c’est vrai, à un porte-voix à la place de la bouche. »

« L’un des deux ment »

Pour l’avocate, « Mohamed Soumah intervient à chaque étape de l’organisation de la planque, il aide à mettre à exécution les ordres venus de Belgique ». Ce dernier a dit qu’il ne connaissait Hasna Aït Boulahcen que depuis la veille, quand elle lui avait acheté un peu de drogue : Claire Josserand-Schmidt n’en croit rien. Mouss a dit, « Hasna, elle se balade toujours avec des boulettes de coke », et la jeune femme a même assuré au téléphone : « Mouss, c’est mon poteau »« elle n’avait pas l’air de le connaître depuis un jour », a insisté l’avocate.

Il est invraisemblable, selon elle, que Hasna Aït Boulahcen ait utilisé Mohamed Soumah sans rien lui dire des deux hommes qu’elle voulait cacher, alors « qu’elle est clairement dans une démarche djihadiste, qu’elle a passé la soirée à en parler à tout le monde, y compris à son conseiller Pôle emploi ». Il est ensuite douteux que les hommes qui ont tout organisé depuis la Belgique et envoyé un mandat postal à Hasna Aït Boulahcen aient laissé Mohamed Soumah aider la jeune femme sans le mettre dans la confidence. Troisième point, qui reste un angle mort du procès : Mouss a toujours soutenu qu’Hasna Aït Boulahcen voulait, à cause d’une dispute, trouver un logement pour elle pendant trois semaines ; Jawad Bendaoud a, lui, expliqué qu’Hasna voulait loger « deux frères mus » (musulmans) pendant deux ou trois jours.

Or, Mouss, Jawad et Hasna se sont retrouvés tous les trois le 16 novembre pour régler les détails. « L’un des deux ment, en conclut Me Josserand-Schmidt. Et ce n’est pas Jawad Bendaoud, qui aurait plutôt eu intérêt à dire qu’il allait loger la seule Hasna. D’ailleurs, le premier truc qu’il dit à ses copains en sortant, c’est “Je vais héberger deux mecs”. Et ses copains rigolent, en lui disant qu’ils espèrent que ce ne sont pas des terroristes. »

Quatrième point, les écoutes. Hasna lui a dit : « Ce que tu as fait, tu es un bon, la vie de ma mère. » Mouss lui a dit aussi : « Dors pas trop, tu as des trucs à faire, n’oublie pas. » Et quand Hasna lui annonce : « T’as vu la gynéco, elle m’a envoyé de l’argent », il ne se demande pas ce qu’une gynéco vient faire là, pas plus qu’il ne pose de questions quand elle lui dit, « tu sais, il m’a appelée hier, il m’a dit il faut acheter des couvertures ». « Mohamed Soumah sait parfaitement que ces démarches sont ordonnées par un tiers, assure l’avocate. Et il lui dit, “tu peux pas te débrouiller toute seule. J’suis obligé de t’aider, jusqu’à la fin”. Mais quelle fin, monsieur Soumah ? »

« Il vendrait des bretelles à un cul-de-jatte »

C’est évidemment sur Jawad Bendaoud que les parties civiles ont insisté. Le jeune homme a toujours soutenu qu’il ne se doutait pas que des terroristes du 13 novembre en avaient réchappé et qu’il n’avait pas regardé la télé. Me Hélèna Christidis en doute : tout le monde ne parlait que de ça, et elle a compté le nombre de contacts téléphoniques qu’il a reçus ou passés, avant l’assaut du RAID : 173 le 15 novembre, 188 le lendemain, 181 le 17 novembre. « Un trafic téléphonique d’une intensité incroyable, a repris Me Georges Holleaux. Comme tous les Français, M. Bendaoud savait que des terroristes s’étaient échappés. » L’avocat a d’ailleurs isolé « trois mensonges » du prévenu, pour lui décisifs.

Le coup de fil de Jawad Bendaoud à Hasna Aït Boulahcen, d’abord, le 16 novembre à 19 h 53, d’une durée inhabituelle, 3 mn 31 secondes. Le jeune homme a d’abord dit qu’Hasna était bavarde (ce qui est avéré) et qu’il avait posé le téléphone sans raccrocher. Me Holleaux admet que lui aussi, quand sa mère l’appelle, il pose le téléphone et ne le reprend que trois minutes plus tard. « Mais Hasna ne fait jamais des phrases de plus de quinze mots ! Comment la conversation peut-elle tenir aussi longtemps ? » Jawad Bendaoud a avancé une deuxième version : il est tombé sur le répondeur de la jeune femme, n’a pas raccroché, et 3 mn 31 : c’est la durée que met un répondeur avant de raccrocher.

« Ce n’est pas ça, tranche Me Holleaux. Les factures détaillées donnent le détail : quand il s’agit d’une conversation, il est noté voix, quand c’est un répondeur, rep. Et là, il est noté voix. Qu’est-ce qui est si gênant pour M. Bendaoud ? » Il croit évidemment tenir la réponse : le téléphone d’Hasna Aït Boulahcen a borné rue de la Bergerie, là où se cachait Abdel Hamid Abaaoud, le cerveau des attentats, et son complice, en attendant de trouver un logement. « Hasna, à ce moment, n’est pas seule, dit l’avocat. Elle est avec Abaaoud. Et elle lui a passé Jawad Bendaoud. C’est pour cela que M. Bendaoud fait un si gros mensonge, si lourd de conséquences. » Preuve pour les parties civiles que Jawad Bendaoud savait pertinemment qui il allait loger.

Deuxième mensonge : le jeune homme prétend avoir été « réveillé en fanfare » de bonne heure le 18 novembre par 50 messages, qui lui disaient que la police tirait sur son squat. Aussitôt, il s’est habillé et a filé sur place, donner notamment la fameuse interview à BFM-TV. Or, observe l’avocat, il n’a eu que six messages avant son réveil, et tous avant 1 heure du matin. Comme l’assaut du RAID n’a commencé qu’à 4 h 30, ils ne pouvaient en faire état. « A son réveil, il n’a donc aucune information, en déduit Me Holleaux. Or il appelle sa mère, alors qu’il est déjà en route, à 6 h 45, et lui dit que c’est chez lui, les coups de feu. Il a compris, et on voit qu’il savait déjà que c’étaient des terroristes. Sinon, comment aurait-il pu le savoir ? »

Troisième mensonge, les deux hommes qu’il hébergeait lui avaient certes dit qu’ils venaient de Belgique, mais Jawad Bendaoud soutient qu’il ne savait pas que les terroristes venaient de là-bas. Or, le procureur de Paris avait dit dès le 14 novembre que les voitures des terroristes étaient immatriculées en Belgique. « Quand sa mère lui dit de tout nier, il répond, “mais tu ne comprends pas, ils viennent de Belgique !”, insiste l’avocat. Il savait à quoi s’en tenir. Jawad Bendaoud a fait ça pour de l’argent, et il a menti comme un arracheur de dents. D’ailleurs, il vendrait des bretelles à un cul-de-jatte. » Réquisitoire du procureur mardi 6 février.