Jaulnay n’a pas échappé à la dévitalisation des cœurs de villes. Depuis un an, des bénévoles assurent les permanences pour maintenir la boulangerie ouverte. / CYRIL CHIGOT / Divergence / « Le Monde »

Pour la troisième fois de la matinée, Valérie relève patiemment le panneau publicitaire qui repose devant la vitrine de la boulangerie associative de Jaulnay, en Indre-et-Loire. Chaque passage un peu trop rapide d’un camion dans la grande rue envoie valser l’ardoise dans un vacarme métallique.

Ce « village-rue » de 270 habitants, coupé en deux par la départementale 749, ressemble à des dizaines d’autres en France. Ceux que l’on traverse par hasard l’été sans s’arrêter pour éviter un tronçon d’autoroute embouteillé. De Châtellerault à Richelieu, la route est droite, et la vitesse, limitée à 50 km/h dans le bourg, rarement respectée.

Dans les années 1950, Jaulnay avait sa boucherie, sa boulangerie, sa cordonnerie, son garage, son école, ses deux cafés… et même son bourrelier, qui fabriquait les harnais des chevaux. Mais au fil des années, tous les petits commerces ont fermé. Frappée comme tant d’autres par la dévitalisation des cœurs de ville, la commune n’a pas échappé à la concurrence des zones commerciales de périphérie de Châtellerault ou Chinon.

Dépôt de pain associatif

En septembre 2016, c’est le coup de grâce. En un mois, le village perd son bar-tabac et sa boulangerie. Seul rescapé, l’immuable garage, à l’entrée du bourg, installé depuis 1951. Mais même Joël Grignon, un touche-à-tout qui a repris l’entreprise de son père en 1989, n’est pas épargné par la fermeture des deux commerces. « Les gens qui venaient acheter leur cartouche de cigarettes une fois par semaine prenaient de l’essence en même temps », regrette le garagiste de 53 ans.

Pour des raisons diverses, trois boulangers se sont succédé en cinq ans, relate Maurice Talland, le maire – sans étiquette – de Jaulnay qui a rempilé en 2014 pour un second mandat. « Le loyer était trop cher, ils étaient écrasés par les charges », énumère cet ancien cuisinier de 74 ans, rugbyman à ses heures perdues. « Cela ne pouvait plus fonctionner avec un boulanger à demeure », explique l’édile, assis autour de la grande table de réunion de la mairie.

Hors de question pour autant de laisser mourir le dernier commerce de sa commune. Particulièrement engagé dans le milieu associatif depuis sa jeunesse, Maurice Talland a alors l’idée de convertir la boulangerie en dépôt de pain et de la rouvrir sous forme associative. La mairie, propriétaire des locaux, propose même de mettre à disposition le lieu gracieusement.

« Il fallait garder un minimum de tissu social »

Soumise aux habitants en septembre 2016, l’initiative séduit une vingtaine d’entre eux. Trois mois plus tard, l’association Le Débit de pain – qui fait référence au titre d’une pièce de théâtre de Bertolt Brecht – est constituée. Retraité, assistante maternelle, grand-mère ou encore professeuse de sport… chacun s’engage à assurer les permanences à tour de rôle : six jours sur sept, de 7 h 30 à 13 heures.

« La fermeture de la boulangerie, c’était vraiment la mort du village, assure Patrick Cassen, retraité parisien installé à Jaulnay depuis quatre ans et président symbolique de l’association. Il fallait garder un minimum de tissu social. » Dans cette boulangerie atypique, on s’inquiète de la santé de l’un, on parle décodeur TNT avec un autre, on s’enquiert du moral de la chauffeuse du car de ramassage scolaire, on boit un café avec les cantonniers dans l’arrière-boutique… autant de sujets de discussions que de volontaires de permanence.

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Ce mercredi matin, c’est au tour de Valérie Richard, 49 ans, d’accueillir les clients, avec un large sourire. Originaire de Clermont-Ferrand, elle a suivi son conjoint embauché sur le chantier de la ligne à grande vitesse (LGV) Paris-Bordeaux. Pendant deux ans, le village s’est animé, la population a doublé. Même le terrain de foot a été aménagé en camping. Avant de subir de plein fouet l’arrêt des travaux. Valérie Richard et son mari ont toutefois décidé de rester. L’accueil chaleureux qu’ils ont reçu a été déterminant, reconnaît-elle. « Mes problèmes de santé m’empêchent de travailler à plein-temps et mon mari étant souvent en déplacement, je me retrouve régulièrement seule, explique-t-elle. Le soutien des habitants est d’autant plus important pour moi. »

Valérie Richard, qui assure les permanences du mercredi, et Jöel Grignon, garagiste à l’entrée du village, travaillent à la boulangerie le dimanche. / CYRIL CHIGOT / Divergence / « Le Monde »

Un an plus tard, même si l’équipe de rotation mériterait de s’étoffer un peu pour soulager la charge de travail de tous, l’organisation s’est rodée. Pains et viennoiseries sont désormais livrés chaque matin par Jacqueline, la salariée de la boulangerie de Saint-Gervais-les-Trois-Clochers, une commune plus importante située à quelques kilomètres de Jaulnay. Et le magasin propose maintenant du vin et des produits laitiers de producteurs locaux qui se sont engagés à faire une réduction de 10 % sur la marchandise à l’association. Débit de pain a ainsi pu se constituer une avance de trésorerie de 3 500 euros, une somme qui a notamment permis à l’association d’investir dans un nouveau réfrigérateur.

« Si on ne se rappelle pas qu’on a besoin des autres, c’est foutu »

De la boulangerie à la bibliothèque communale, en passant par le comité d’animation, ce sont toujours un peu les mêmes que l’on croise à Jaulnay, particulièrement investis dans la vie associative de leur village. Et les initiatives pour redynamiser le bourg ne font que commencer.

Après la fermeture du bar-tabac, la mairie a racheté la licence IV et fait une proposition d’acquisition des murs au liquidateur judiciaire dans l’espoir de pouvoir rouvrir un jour le lieu. Une coiffeuse à domicile, déjà implantée sur la commune, va s’installer dans l’ancien fournil de la boulangerie. « L’ouverture du salon est prévue en avril, précise Maurice Talland. Elle continuera à aller chez les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer et, le reste du temps, elle sera ici. Nous lui avons proposé de fixer elle-même le montant de son loyer. Pour maintenir les commerces dans ces milieux ruraux, il ne faut pas les assommer. »

Et Joël Grignon, garagiste du lundi au samedi, et bénévole à la boulangerie le dimanche, de résumer : « Comme on est isolés, il nous faut de l’entraide. On se dépanne, c’est notre force de réussite. Si on ne se rappelle pas qu’on a besoin des autres, c’est foutu. »

En Indre-et-Loire, une boulangerie associative pour recréer du lien entre les habitants

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