Nicos Anastasiades et Stavros Malas, le 31 janvier 2018. / YIANNIS KOURTOGLOU / REUTERS

Suzanne est décidée à voter au second tour de l’élection présidentielle, dimanche 4 février, dans la République de Chypre. Elle s’était abstenue au premier, voilà une semaine. « L’enthousiasme n’y est pas mais l’enjeu est important », dit cette Libanaise d’origine installée sur l’île depuis plus de vingt ans, qui multiplie les petits boulots depuis le naufrage économique du pays, en 2013.

Le premier tour a permis la qualification du président sortant, le conservateur Nicos Anastasiades (avec 35,5 % des voix), opposé, comme en 2013, au candidat soutenu par le Parti communiste, Stavros Malas (30 %). Le premier reste favori, mais les résultats pourraient être serrés au soir du vote. Dans la dernière ligne droite, l’un comme l’autre ont eu du mal à rallier les soutiens des candidats éliminés au premier tour. Le troisième homme, Nikolas Papadopoulos, a ainsi refusé de prendre parti après avoir recueilli un peu plus de 25 % des voix sur un programme libéral et nationaliste.

Deux sujets ont dominé la campagne : l’économie, cinq ans après la mise sous tutelle du pays par la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI), après l’implosion de son secteur bancaire. Et la question de la réunification de l’île, dont la partie nord est occupée par l’armée turque depuis 1974. La « ligne verte », qui coupe depuis cette date le pays en deux d’est en ouest, déchire la vieille ville de Nicosie.

« Rien ne dit qu’il sera possible de relancer les pourparlers »

A la différence de Nikolas Papadopoulos, les deux finalistes sont peu ou prou d’accord pour tenter de relancer les négociations de réunification, après l’échec, en juillet 2017, des pourparlers menés sous l’égide de l’Organisation des Nations unis (ONU). La dérive autoritaire du président turc Recep Tayyip Erdogan n’est pas pour faciliter les tractations, tout comme sa décision d’intervenir en Syrie. « Notre souci concerne la nouvelle politique d’expansion de la Turquie : il paraît difficile de la voir accepter un retrait de Chypre, alors qu’elle envoie ses troupes en Syrie », dit le ministre des affaires étrangères de M. Anastasiades, Ioannis Kasoulides, même si la partie nord, soutenue à bout de bras par Ankara, est elle aussi en train de se doter d’un nouveau gouvernement, favorable aux négociations.

« Rien ne dit qu’il sera possible de relancer les pourparlers », rappelle Hubert Faustmann, le représentant de la Fondation Ebert, proche du SPD allemand. A moins d’une soudaine percée, ce dernier ne croit pas à un accord avant 2019, année d’un scrutin présidentiel crucial pour Erdogan en Turquie. Si l’ONU, dont les casques bleus patrouillent le long de la « ligne verte », perd patience, la population ne se fait pas trop d’illusions.

Situation économique encore fragile

Une fois n’est pas coutume, au-delà de la question chypriote, la campagne a laissé une large place à l’économie ; un terrain où les deux candidats en lice ont pu se départager. A peine arrivé au pouvoir, en 2013, Nicos Anastasiades avait été obligé de faire appel à l’aide de la zone euro et du FMI. Il peut se targuer d’avoir amorcé le redressement du pays. Son opposant faisait au contraire partie du gouvernement précédent, qui n’avait pas pu empêcher le naufrage, sous la présidence du communiste Dimitris Christofias. Stavros Malas a critiqué le libéralisme des réformes entreprises par le gouvernement sortant, et plaidé pour des politiques plus sociales, comme la généralisation du salaire minimal.

Chypre a pu se passer de l’aide de ses créanciers internationaux un peu en avance sur le calendrier prévu, contrairement à la Grèce, dont le naufrage avait précipité sa chute. Cinq ans après l’enclenchement du plan d’aide, la croissance devrait atteindre 4 % cette année. Le tourisme, en particulier, bat record sur record. « La reprise est réelle, mais la situation reste fragile », affirme Fiona Mullen, directrice de Sapienta Economics. Le secteur bancaire – encore handicapé par de gros portefeuilles de prêts à risque – a été restructuré en profondeur, avec la fermeture d’une des deux principales banques du pays, en 2013 : les dépôts au-dessus de 100 000 euros ont alors été lourdement ponctionnés, afin de contribuer à l’assainissement du secteur. Une opération restée unique en Europe, qui a laissé des traces dans l’opinion publique. Orienté à la baisse, le chômage dépasse encore 10 % dans la population active, et touche de nombreux jeunes.

Pour attirer les investissements, le gouvernement sortant a mis en place un dispositif de « Golden passport » afin d’attirer les fortunes étrangères en leur offrant permis de résidence et nationalité. Le système connaît un certain succès, surtout auprès des Russes. A Limmasol, où sont installées des dizaines de milliers de Russes, la construction est en plein boom. « Le tourisme et les passeports, c’est bien, mais ce dont nous avons besoin ce sont des résidents qui dépensent, pas des propriétaires d’appartements vides », dit un commerçant de Nicosie.

Après cinq ans de pouvoir, Nicos Anastasiades et Stavros Malas sont confrontés à un réel désenchantement. Le président sortant a perdu un tiers de ses électeurs par rapport à son score du premier tour de 2013. L’abstention a atteint un taux plus haut, autour de 30 %, dans ce pays où le vote a longtemps été obligatoire. Une formation d’extrême droite, Ethniko Laiko Metopo (ELAM – « Front populaire national »), qui se présente comme proche des néonazis grecs d’Aube dorée, a approché 6 %. Aux législatives de 2016, ce tout jeune parti avait recueilli moins de 3 % des voix.