Jacques Brunel, samedi 3 février 2018, au Stade de France. / Michel Euler / AP

Jacques Brunel sauvegardera donc sa moustache. L’information est triviale, mais elle a une logique sportive. Facétieux, le tout nouveau sélectionneur du XV de France avait promis de couper ses bacchantes si ses joueurs remportaient le Grand Chelem (cinq victoires sur cinq possibles) en ce Tournoi des six nations 2018. Raté : ils viennent de perdre contre l’Irlande (13-15) en match d’ouverture, samedi 3 février à Saint-Denis, au Stade de France.

Le Gersois commence là son mandat de sélectionneur par une défaite de peu, mais une défaite quand même, face à une équipe d’Irlande moins fringante que prévu. Une défaite de plus, pour les joueurs. Toutes celles accumulées ces deux dernières années ont déjà fourni un prétexte pour le licenciement de son prédécesseur, Guy Novès, évincé sans manières il y a peine plus d’un mois.

Bien sûr, Brunel connaît déjà le Stade de France pour y avoir longtemps officié comme entraîneur adjoint de Bernard Laporte (2001-2007), désormais parvenu à la présidence de la Fédération française de rugby. Ou pour y avoir entraîné l’équipe nationale d’Italie (2011-2016), propédeutique toujours efficace pour apprendre à accepter la défaite.

Celle de la France contre l’Irlande, ce samedi soir, Jacques Brunel l’a jugée « cruelle ». Sacrifiant aux traditionnelles quinze minutes de conférence de presse d’après-match, le néo-sélectionneur du XV de France a parlé d’« une grosse déception, d’un scénario terrible au vu de l’énergie que l’on a déployée ». Tout cela au terme d’un « match assez hermétique, dur, difficile ». Souvent ennuyeux, disons les choses.

Pourquoi « cruelle » ? Menée à la mi-temps (3-9), l’équipe de France a cru la partie gagnée après un essai galopant de Teddy Thomas (13-12), l’unique du match, à huit minutes de la fin. C’était compter sans le drop lointain de l’Irlandais Jonathan Sexton, un ancien coéquipier du Racing, à l’ultime minute (15-13).

L’ancien manageur de l’Union Bordeaux-Bègles, à sa décharge, pouvait difficilement envisager mieux dans les conditions imparties : à peine treize jours depuis sa première réunion avec les internationaux français. Et encore : dès le deuxième jour de stage à Marcoussis (Essonne), mardi 23 janvier, à quelques mètres des terrains d’entraînement, la brigade de répression de la délinquance économique perquisitionnait les locaux du siège de la Fédération française de rugby (FFR). Sous la conduite du Parquet national financier, l’enquête tente de faire la lumière sur les soupçons visant un éventuel conflit d’intérêts entre Bernard Laporte et le milliardaire Mohed Altrad. Depuis, M. Laporte a renoncé au contrat personnel d’image qui le liait à l’homme d’affaires, par ailleurs président du club de Montpellier.

Guirado et ses 28 plaquages

Le groupe Altrad, spécialisé dans le bâtiment, et « fervent supporteur du XV de France », selon les mots prononcés samedi soir après le match par le speaker du stade, entend pourtant persévérer dans le rugby : contre l’Irlande, les Français étrennaient leur maillot siglé d’un grand « Altrad » sur le buste, conséquence d’un nouveau contrat lucratif (« au moins 35 millions d’euros », annonce la fédération) entre 2018 et 2023.

Sous contrat seulement jusqu’en 2019, Jacques Brunel fonctionne sur du court terme. A 64 ans, l’entraîneur compose dans l’urgence. Il pourra retenir de ce premier match une très nette possession de balle irlandaise et beaucoup trop de pénalités concédées par la France (« on a donné quelques points »). Lui préfère déceler de « l’abnégation », de « la solidarité » dans ce groupe qui a surtout fait briller son talonneur et capitaine, Guilhem Guirado : 28 plaquages dans le match.

Pour revoir à l’œuvre Mathieu Jalibert, en revanche, il faudra patienter. L’ouvreur bordelais, 19 ans, a fêté sa première sélection par une sortie sur blessure (genou). Sa présence pour le déplacement en Ecosse, dimanche 11 février, est déjà compromise. Comme celle d’Antoine Dupont, demi de mêlée à peine plus âge, touché lui aussi à un genou.

Blessée à tant d’égards, cette équipe « doit avoir beaucoup de fierté », soutient pourtant son nouvel entraîneur : « On n’était pas favori, on joue contre une nation en pleine confiance. » Les Irlandais occupent la troisième place du classement international. Avec cette nouvelle défaite, les Français s’apprêtent à descendre au dixième rang. Un niveau historiquement bas qui n’incite guère à se friser les moustaches.