Yu Wensheng, à Pékin, le 24 février 2017. / ANDY WONG/AP

Le sort de l’avocat chinois Yu Wensheng, dont l’épouse a informé le 27 janvier de la « disparition » et de sa détention aux mains de la police chinoise, inquiète sa famille et ses confrères. M. Yu semble subir aujourd’hui des représailles pour une lettre ouverte rédigée lors de l’ouverture du 19e Congrès du Parti communiste en octobre 2017 et appelant à la démission du président Xi Jinping. Il a été placé en « résidence surveillée sur un lieu désigné » (RSDL en anglais) pour six mois, sous prétexte « d’incitation à la subversion ».

Depuis 2012, cette mesure rend légale la pratique des « disparitions forcées » organisées par la police politique chinoise. « Le transfert de Yu Wensheng en RSDL loin de Pékin, à Xuzhou [province du Jiangsu, à l’est] est une tournure inquiétante », confie par courriel Peter Dahlin, un Suédois qui dirigea en Chine une association d’aide aux avocats avant d’être lui-même arrêté début 2016 puis expulsé.

« Il n’y a pas de moyens légaux de combattre cette mesure. M. Yu n’aura pas accès à un avocat. C’est en fait une punition, des gens peuvent y rester des mois mais ne sont parfois jamais jugés. On sait avec quasi-certitude qu’il subira des formes de tortures, physiques ou mentales », poursuit M. Dahlin, qui a contribué à un livre récent de témoignages sur la RSDL en Chine, The People’s Republic of the Disappeared (CreateSpace Independent Publishing Platform, non traduit), publié à l’étranger.

La RSDL est l’arme répressive la plus utilisée contre les avocats depuis la rafle du 9 juillet 2015, responsable de dizaines de détentions prolongées et de condamnations. « Lorsque vous vous trouvez en RSDL, vous n’avez aucun contact avec l’extérieur, vous êtes surveillé 24 heures sur 24, vous subissez toutes sortes de vexations », explique au Monde l’avocate Wang Yu, la plus célèbre cible de cette campagne.

Mme Wang a passé six mois dans une geôle secrète. Elle fut soumise à toutes sortes de mesures coercitives, fut déshabillée de force ou dut par exemple rester des journées entières dans un carré tracé sur le sol, avant d’être déférée à un centre de détention. Libérée à l’été 2016, elle demeure, avec son époux, sous surveillance constante et a été invitée à quitter Pékin cette semaine pour des « vacances au soleil sous escorte ». L’objectif est de l’empêcher de venir en aide à ses confrères : outre Yu Wensheng, une autre figure clé de cette communauté de défenseurs des droits fondamentaux, Sui Muqing, a vu sa licence révoquée le 23 janvier. Une « sanction », a-t-il expliqué sur Twitter, en réponse à son obstination à défendre des « dossiers sensibles ».

« L’Etat de droit a régressé »

Yu Wensheng avait vu, lui, sa licence révoquée quelques jours avant son arrestation le 19 janvier. Ce jour-là, à 6 h 30 du matin, il conduisait son fils à l’école dans la lointaine banlieue ouest de Pékin quand un commando de policiers, dont certains encagoulés comme pour une opération antiterroriste, l’ont fait sortir de voiture. Le seul témoin, son fils de 13 ans, est retourné dire à sa mère ce qu’il avait vu.

Une vidéo prise par les policiers et dont le montage a été mis en ligne par ceux-ci, montrera M. Yu crier à un officier qu’il n’obéira pas, puis tenter de lui décocher un coup de poing. L’arrestation fut d’abord présentée à la famille comme une réponse au délit de « querelles et trouble à l’ordre public ».

Pour son entourage, M. Yu est détenu pour la lettre ouverte du 18 octobre 2017 dans laquelle il demandait l’instauration d’un système démocratique et jugeait que, sous cinq années au pouvoir de M. Xi, « les droits humains se sont détériorés, l’Etat de droit a régressé, la torture s’est répandue et les erreurs judiciaires se sont installées ».

« Nous pensons que la vraie raison, c’est la lettre ouverte qu’il a diffusée pour appeler à cinq réformes de la Constitution chinoise, dont l’organisation d’élections présidentielles avec des candidats multiples », explique au Monde Huang Hanzhong, l’avocat engagé par l’épouse de Yu Wensheng.