En une après-midi, mardi 6 février, c’est comme si le président sud-africain avait pris deux coups de feu (politiques) en pleine poitrine. Le premier a été tiré par la présidente de l’Assemblée, Baleka Mbete, qui fut une de ses fidèles, lorsqu’elle a annoncé in extremis que le discours sur l’état de la nation n’aurait pas lieu, comme prévu, jeudi.

Certes, Jacob Zuma avait semble-t-il décidé lui aussi de jeter le gant et écrit au Parlement pour demander le report, mais il tenait beaucoup à ce discours pour s’agripper à un pouvoir qu’on tente de lui faire lâcher. Il ne pourra pas déployer devant son pupitre les notes qu’il sait si bien donner l’impression de découvrir en même temps que l’auditoire et prononcer d’un ton monocorde la série de lieux communs qu’il réserve aux circonstances similaires.

Entre résistance et nuisance

Ni le fond ni la forme n’ont d’importance pour lui. Ce discours était un défi symbolique à ses ennemis, ceux qui, au sein du Congrès national africain (ANC), s’efforcent de le pousser à la démission. Son adversaire, Cyril Ramaphosa, a déjà pris le contrôle du parti lors de la conférence nationale de décembre 2017. Depuis, on tente de le pousser dehors, avec courtoisie mais fermeté. En pure perte. Mais cette fois, le ton est en train de changer.

Tout autre que lui, du reste, aurait sans doute cédé à la pression, reconnu sa défaite tant qu’il en était encore temps et quitté ses fonctions, dévoyées par d’innombrables scandales, avec encore quelques honneurs et un traitement d’ex-chef d’Etat. Mais Jacob Zuma s’y refuse. Il est devenu un curieux objet politique. Il ne lui reste qu’une seule forme amoindrie de pouvoir, entre résistance et nuisance, et il en use de toutes ses forces.

Abandonner ? Une délégation émanant des « top six » (les six du sommet), les dirigeants de l’ANC, est venue dimanche soir lui suggérer une forme de départ en souplesse. Elle s’est heurtée à un mur. Le commanditaire de l’opération, Cyril Ramaphosa, le nouveau président de l’ANC, espérait voir se conclure son approche graduelle, visant à pousser sans heurts à la démission le chef de l’Etat en exercice afin de réorganiser le parti, lui redonner espoir et lustre et être fin prêt pour les élections générales de la mi-2019.

Jacob Zuma n’entend pas ce langage-là. Il a assuré à ses visiteurs du dimanche soir que le pays l’« adore ». Puis il a formulé des craintes au sujet d’une menace « contre-révolutionnaire ». C’est la langue de bois qui a fait son retour en force dans les documents de l’ANC, ces dernières années. Les « impérialistes ne désarment pas », est-il gravement précisé dans le dernier document de politique du parti. Pour Jacob Zuma, il ne fait aucun doute que leur agent se nomme Cyril Ramaphosa.

Chaque jour gagné est une victoire

Le président Zuma fait semblant de le combattre. En réalité, il ne se bat que pour lui-même, avec la dague de ses poursuites judiciaires dans le dos. Le jour où il cessera d’être président, son immunité tombera. Il y a les 783 chefs d’accusation dans le cadre du scandale de vente d’armes des années 1990, où est impliquée la société française Thales, alors nommée Thomson-CSF. Il y a une procédure examinant le processus de « capture d’Etat » qui a vu le pillage des sociétés publiques au profit des Gupta, une famille d’origine indienne. Avant fin février, le premier de ces dossiers menace d’avancer et de rapprocher Jacob Zuma de poursuites.

Jusqu’ici, il a tenu bon à son poste grâce à un soutien important au sein de l’ANC. Avec ses alliés en nombre dans les instances du parti et dans les services de renseignement, il pouvait résister. Il avait aussi, pour durer, une forme d’arme sale : diviser autant que possible l’ANC, au risque de lui faire tout perdre, à commencer par les élections de 2019. Plus l’ANC est divisée, chaotique, belliqueuse, plus Jacob Zuma peut s’accrocher à sa fonction. Jusqu’à quand ? Chaque jour gagné est une victoire. Après lui le déluge.

Cela a fonctionné. L’ANC est séparée entre deux factions et donne désormais en spectacle ses divisions. Des échanges de coups ont eu lieu lundi entre des pro-Zuma et des pro-Ramaphosa, choquant profondément la nation sud-africaine, devant le siège du parti de Nelson Mandela, Walter Sisulu et Oliver Tambo, à Johannesburg. Pour ce genre de militantisme, Jacob Zuma peut compter sur l’organisation Black First Land First, un groupuscule lié à la famille Gupta.

Les pro-Ramaphosa, de leur côté, ont hué, traité de « voleur » et de « vendu » (une insulte de l’époque de la lutte contre l’apartheid, signifiant en somme « collabo », pour désigner les Noirs travaillant en secret pour le pouvoir blanc) Ace Magashule, le secrétaire général de l’ANC. Ce dernier était jusqu’ici le plus imperturbable des soutiens de Jacob Zuma dans le « top six », avec son adjointe, Jessie Duarte. Cette dernière vient de lâcher le chef de l’Etat. C’est deuxième coup de fusil du mardi noir de Jacob Zuma.

Stratégie jusqu’au-boutiste

Depuis l’affront de dimanche fait aux visiteurs du soir, une escalade est en cours. Mercredi, le Comité national exécutif (NEC), l’organe le plus puissant de l’ANC, doit se réunir en urgence pour aborder le cas Zuma et son éventuel « rappel » (demande de démission). « Le NEC est en mesure de rappeler n’importe lequel de ses membres », a déclaré, contre toute attente, Jessie Duarte, avant d’expliquer sa position : « L’incapacité du NEC de prendre une décision [au sujet de M. Zuma] a déjà eu un impact sur les militants de base, créant de la confusion, de l’indécision, et entraînant le genre de scène qu’on a vu dans les rues de Johannesburg hier [la bagarre devant le siège de l’ANC], ce que nous n’accepterons pas. »

En résumé, les soutiens de Zuma commencent à calculer que sa stratégie jusqu’au-boutiste pourrait les engloutir tous. Si le NEC demande son « rappel », Jacob Zuma obtempèrera-t-il ? Placé devant cette situation, son prédécesseur, Thabo Mbeki, avait aussitôt démissionné. Il savait aussi qu’en cas de refus, il serait soumis à une procédure de destitution au Parlement. C’est ce qui guette Jacob Zuma. Une motion de censure contre lui est programmée pour le 22 février. Une autre procédure pourrait être menée au sein du groupe parlementaire ANC. C’est ce dernier qui élit en effet le chef de l’Etat et qui a la capacité légale de le démettre si le NEC le demande.

L’espace se resserre autour de Jacob Zuma. Mais le doute subsiste. En cas d’échec, explique une source interne, les partisans de Cyril Ramaphosa ont pour objectif « de le pousser à la démission avant le mois de juin ». Ils connaissent les ressources de l’homme politique déjà donné pour mort tant de fois qu’il semble presque invincible, politiquement – et insensible aux coups de fusil.