Pendant des années, ils se sont dévêtus face caméras. « Comme dans la vie », ils ont joui, ils ont simulé aussi. Ils ont exhibé leur corps et leur sexe. Ils ont joué l’être humilié, violent, masochiste, pervers ou bien candide. Puis un jour, ils ont voulu se « rhabiller », comme ils disent. Pour l’amour d’un homme, plus rarement d’une femme. Parce que l’industrie du porno, bousculée par l’essor du streaming et des vidéos amateurs, n’offre plus les mêmes opportunités – « moins de films, de plus en plus de filles, de moins en moins bien payées », résume une ancienne. Par lassitude, également. Et aussi, parce que passé 40 ans, le carnet d’adresses se réduit inexorablement.

Mais que faire ? Et comment le faire quand l’image est à tout jamais classée X, à l’instar de l’ancienne actrice Clara Morgane ? Elle a eu beau quitter l’industrie du film pour adultes, il y a plus d’une décennie après une carrière éclair, certains univers lui semblent toujours interdits. Si bien qu’il reviendra aux tribunaux de dire, mardi 6 février, si son nom sulfureux peut être associé à une marque de champagne, la maison Charles de Cazanove, son descendant direct estimant cette idée tout à fait « scandaleuse ».

Une affaire qui vient rappeler à quel point « faire du porno est un suicide social », résume, sans ambages, Ovidie, ex-actrice et auteure de « Rhabillage », un reportage sur la reconversion professionnelle des anciens acteurs, diffusé en 2011 dans l’émission « Envoyé spécial ». La réalisatrice se souvient de cette époque révolue du « secret partagé », lorsque les amateurs de porno se sentaient « aussi coupables que nous de nous reconnaître », après avoir loué leur VHS ou profité de leur abonnement Canal+. Aujourd’hui, « avec le streaming, c’est très facile de se transmettre une vidéo », et encore plus difficile de se faire oublier.

Femme de ménage et aide-soignante

Après « un bon millier de films », Liza del Sierra, Emilie Delaunay dans le civil, a arrêté le porno il y a cinq ans « pour un homme ». A l’approche de la trentaine, elle voulait aussi vivre pour elle, « plus pour [s] on travail ». Mais, avec un début de carrière à « 18 ans et demi » et aucun diplôme en poche, il fallait s’armer de patience ou d’espoir. Emilie Delaunay a choisi d’être pragmatique en devenant femme de ménage chez des particuliers, puis aide-soignante, comme sa maman.

Après un passage à l’Association des paralysés de France, où on la reconnaît « sans que ça se passe mal », la jeune femme atterrit dans une maison de retraite. Elle y restera trois mois, le temps d’être « mise à part », puis remerciée : « Dès que mes collègues ont su, ils ont remis en question mes pratiques, ils me dénigraient auprès des patients. » Pour la « griller », certains iront « jusqu’à enlever la ceinture [de maintien] d’une dame en fauteuil roulant » dont elle s’occupait.

A l’époque, Emilie Delaunay refuse de voir que les faits qu’elle décrit pourraient être qualifiés par un tribunal de harcèlement moral. Elle préfère se dire : « T’as bien bossé, tu les emmerdes ! » Pourtant, chaque matin, elle va au travail « la boule au ventre ». Puis, un jour, « comme tous les 26 du mois », elle consulte le nouveau planning sans y voir son nom. Elle demande à parler à sa responsable, qui lui répond : « On ne souhaite pas vous avoir dans l’établissement. » La jeune femme retrouve du travail dès « le lendemain », mais elle optera, à l’avenir, pour un poste de nuit, afin de « rencontrer le moins de personnes possible ».

Selfies et photos sur Twitter

Lorsqu’il y a trois ans, Nomi, 47 ans, dont dix-sept ans en tant que hardeuse, s’est dit qu’il était temps d’« essayer de faire autre chose », la chance lui a souri, lui évitant un tas de questionnements. Elle aurait aimé être animatrice télé ou faire de la radio – « mais une Brigitte Lahaie et une Clara Morgane, il y en a une tous les vingt ans » –, elle a saisi l’occasion de devenir cogérante d’une société immobilière. Avec une clientèle exclusivement étrangère, jusqu’à présent, personne ne l’a jamais reconnue.

« Je sais exactement ce qu’il y a sous cette blouse »

Avant de changer de voie, la reconversion était source d’inquiétude. « Je pensais que c’était à la limite de l’impossible », confesse-t-elle, consciente de devoir vivre avec une « étiquette dans le dos ». Aujourd’hui, « j’ai beau faire de l’immobilier, je reste Nomi, ex-actrice porno ». Une réalité cruelle qui, jure-t-elle, ne la « touche pas personnellement ». D’autant que, contrairement à d’autres, Nomi n’essaye pas de se faire oublier. Toujours active sur Twitter, elle publie régulièrement des photos et selfies, une manière de se rappeler au bon souvenir de « tous ces gens qui [l]’ont fait vivre » et qu’elle « n’oublie pas ».

Après cinq ans d’absence et un travail de nuit, Emilie Delaunay est, elle, régulièrement reconnue, et jugée. Elle le voit bien quand certains collègues l’appellent par son prénom et la tutoient. Une fois, un médecin s’est permis de l’interpeller d’un « ma puce ». Elle a tenté de lui expliquer qu’il ne pouvait pas lui parler de cette manière, mais il lui a rétorqué :

« C’est pas comme si on ne se connaissait pas ; je sais exactement ce qu’il y a sous cette blouse. »

Même quand les mots ne sont pas déplacés, dès qu’elle se sait démasquée, Emilie Delaunay estime que son « rapport aux gens change » : « Savoir qu’un collègue m’a vue à quatre pattes me faire prendre par un étalon black avec une queue de 40 centimètres est une sensation… chiante. »

« Les portes se ferment »

Qu’en est-il des hommes ? « C’est pas la même affaire, fait remarquer l’ancienne actrice Ovidie. D’un côté le Don Juan, de l’autre la salope. » Ce n’est pas Phil Hollyday, 41 ans, dont dix-huit ans de porno au compteur, qui pourrait la contredire. Quand ce natif d’Aurillac (Cantal) est revenu dans sa ville d’origine, « c’était un événement », dit-il.

Après deux années de transition à partager son temps entre l’industrie pornographique et la restauration, il a choisi d’utiliser son image pour ouvrir, avec deux associés, une discothèque, celle qu’il observait de sa fenêtre quand il était adolescent en se disant : « Un jour, elle sera à moi. »

« Au début, elles font des plans sur la comète »

Non seulement son vœu s’est exaucé, mais « ça cartonne », se réjouit-il. D’autant que Phil Hollyday se sent, lui, « flatté » quand des clients le reconnaissent. « On ne fait pas ce métier sans être un peu égocentrique », admet-il, conscient que la reconversion s’avère plus difficile pour les femmes, trop souvent considérées, dans cette « société merdique », comme « des objets sexuels ou des cas sociaux ».

Dès lors, « beaucoup » d’actrices choisissent de « rester dans le milieu du sexe », constate Ovidie. Strip-tease, prostitution, live cam, celles-ci continuent à vivre de leur corps. « Au début, elles font des plans sur la comète, reprennent leurs études, veulent devenir chanteuses ou actrices mais elles se rendent vite compte que les portes se ferment. »

Discothèque et webcam

Ava Courcelles a tourné sa dernière scène il y a quatre mois. A 37 ans, elle en avait marre de jouer les MILF – Mother I’d like to fuck – et les cougars, marre de « ces mythomanes qui te promettent monts et merveilles », et de ces producteurs qui veulent « t’imposer la chirurgie esthétique ». Et puis, « on ne peut pas aller à l’encontre de ce que le corps ne veut pas » ou ne veut plus, relève-t-elle.

Elle fait désormais dans la webcam, mi-aguicheuse mi-sexuelle, tout dépend des demandes. « Je viens de finir et je suis encore habillée », relève-t-elle avec l’assurance d’être passée à autre chose. Pour faire ces shows privés ou publics, avec ou sans tchat, 2 heures par jour, cinq jours par semaine, soit 40 heures par mois, Ava Courcelles est payée 2 500 euros net. C’est moins que les 3 500 euros qu’elle pouvait gagner en quatre jours de tournage aux Etats-Unis, avec une grosse société de production, mais mieux que le smic qu’elle empochait en tant qu’hôtesse d’accueil. Sans parler des conditions de travail. Des horaires souples, « sans patron qui te saoule ». Malgré tout, la jeune femme est parfois tentée d’y retourner. La faute à l’argent facile, pense-t-elle.

Phil Hollyday, non plus, n’exclut pas de refaire quelques tournages. Certes, il a arrêté parce qu’il n’y avait « plus d’argent, plus de star system, plus de respect et plus d’acteurs professionnels », mais jouer pour « s’amuser », pourquoi pas. En septembre, il a tourné dans le Cantal avec le réalisateur français Jack Tyler. Quant à Emilie Delaunay, elle n’en a pas tout à fait fini avec Liza del Sierra. De nouveau célibataire, elle a repris le chemin du porno, « en dilettante ». Car aujourd’hui, elle a, dit-elle, « un vrai métier ». Mais bien moins rémunéré.