Un avion de chasse russe abattu dans la province d’Idlib (Syrie), le 3 février. / OMAR HAJ KADOUR / AFP

Un déluge de feu et de fer s’abat depuis dimanche 4 février sur les zones rebelles syriennes d’Idlib et de la Ghouta orientale, la banlieue de Damas. Ces deux secteurs sont avec la région de Deraa, au sud, et la petite poche de Rastan, au nord de Homs, les derniers territoires encore aux mains des insurgés. Lundi, 29 civils, dont sept enfants, ont péri dans des raids aériens et des tirs d’artillerie du régime visant des localités de la périphérie est de Damas, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Près de quarante bombardements aériens ont été recensés durant cette seule journée. Deux marchés ont notamment été pilonnés, à Arbin et Beit Sawa, où dix personnes ont été tuées. En représailles, des groupes rebelles ont lancé des mortiers sur la capitale et ses environs, causant deux morts.

Dans la province d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, deux hôpitaux ont été attaqués par l’aviation du régime syrien et celle de son allié russe. Celui de Maarat Al-Nouman, frappé à trois reprises dimanche soir, est désormais hors service. Un immeuble de six étages a également été soufflé par une énorme explosion. Seize civils ont péri dans cette attaque, dont huit personnes d’une même famille.

Intensification des attaques

Onze cas de suffocation ont également été rapportés dans la ville de Saraqeb, les habitants et des médecins sur place faisant état d’un « gaz toxique » répandu sur la ville, probablement de la chlorine, une arme utilisée à de multiples reprises par le pouvoir syrien. « C’est comme la fin du monde », s’est exclamé Raëd Saleh, le chef des casques blancs, le service de secouristes mis en place dans les régions sous contrôle de la rébellion.

Cette intensification des attaques est survenue après la destruction en vol, samedi 3 février, dans le ciel d’Idlib, d’un avion de chasse russe. Une action menée au moyen d’un missile sol-air portatif par les djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham, la force dominante dans la région d’Idlib, qui est proche d’Al-Qaida.

L’état-major russe a reconnu les faits, expliquant que le pilote, qui était parvenu à s’éjecter, « est mort dans un accrochage avec les terroristes ». C’est la première fois qu’un appareil russe est détruit en Syrie par un tir de missile. A Moscou, la presse a eu beau assurer que le projectile était de fabrication turque, le Kremlin n’a pas réagi, le ministère de la défense se contentant d’ordonner à ses pilotes de voler plus haut, à plus de 5 000 mètres d’altitude.

Rien ne semble pouvoir troubler l’entente entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, sur la Syrie. Lundi, à la suite d’une discussion téléphonique entre les deux hommes, l’armée turque a entamé la construction d’un nouveau poste d’observation dans la province d’Idlib, où elle est présente depuis octobre 2017.

Les accords d’Astana, conclus au printemps entre la Russie, la Turquie et l’Iran, prévoient qu’Ankara établisse douze positions militaires dans cette région, le long d’une ligne Nord-Sud, non loin de la frontière. Pour le moment, trois ont été érigées, à proximité du canton d’Afrin, où l’armée turque tente depuis le 20 janvier de déloger les milices kurdes YPG (unités de protection du peuple), une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), l’ennemi numéro un d’Ankara. Lundi soir, des renforts sont parvenus à Afrin, avec la probable complicité du régime de Bachar Al-Assad, qui semble les avoir laissés traverser des territoires sous son contrôle.

Le processus d’Astana visait à entraîner une « désescalade » dans les quatre régions encore tenues par les insurgés anti-Assad. Même si les bombardements n’y ont jamais cessé, ils ont baissé d’intensité les premiers mois. Mais depuis que l’armée syrienne et ses supplétifs ont achevé leur offensive dans la région de Deir ez-Zor, à l’est, contre l’organisation Etat islamique, les régions rebelles de l’ouest sont de nouveau dans leur collimateur.

Couverture aérienne russe

En décembre, arguant du fait que le groupe Hayat Tahrir Al-Cham, labellisé « terroriste » par la communauté internationale, n’est pas inclu dans l’accord d’Astana, les forces loyalistes ont lancé une offensive terrestre contre la région d’Idlib. Grâce à la couverture aérienne russe, ces troupes progressent par le sud et par l’est, lentement mais sûrement, poussant des dizaines de milliers de civils à prendre la fuite vers le nord de la province. Le 20 janvier, les pro-régime se sont notamment emparés de l’aéroport d’Abou Douhour, une position clé, que les rebelles détenaient depuis 2015.

L’offensive des loyalistes se déroule sur fond de donnant-donnant tacite entre Moscou et Ankara. Maître du ciel dans l’ouest de la Syrie, la Russie a autorisé l’aviation turque à bombarder Afrin. En échange, Ankara regarde ailleurs pendant que ses alliés syriens reculent à Idlib. Le quatrième poste d’observation créé par les militaires turcs pourrait leur assurer, tout au mieux, une zone de repli temporaire. Le régime Assad est déterminé à remettre la main sur la totalité des territoires conquis par ses adversaires, en forçant la main, au besoin, de son parrain russe. Un soldat turc a été tué la veille de la mise en place du nouveau poste d’observation par un tir d’origine inconnue.

Un signe qui ne trompe pas : les attaques à l’arme chimique sont en pleine recrudescence. Le 22 janvier, l’OSDH avait déjà rapporté 21 cas de suffocation dans la Ghouta orientale. Lundi, les Etats-Unis ont accusé la Russie de retarder l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution condamnant ces attaques au chlore. Dénonçant de son côté une « campagne de propagande » visant à « accuser le gouvernement syrien » d’actes dont « les auteurs ne sont pas identifiés », Moscou a proposé des amendements au texte afin qu’il ne fasse plus mention de la Ghouta orientale.

Selon des diplomates, les Etats-Unis ont rejeté les amendements russes, laissant présager un enterrement de la résolution. Vendredi, le ministre américain de la défense, James Mattis, s’était aussi dit inquiet que du gaz sarin, un agent beaucoup plus mortel que le chlore, ait été utilisé, précisant que les Etats-Unis n’avaient pour le moment pas de preuves pour étayer cette hypothèse. Au mois d’avril 2017, en représailles à un bombardement au sarin contre la localité rebelle de Khan Cheikhoun, fatal à 83 Syriens, les Etats-Unis avaient tiré une salve de missiles de croisière contre un aéroport syrien.