Documentaire sur Arte à 22 h 50

Avec Persona, son vingt-septième long-métrage, Ingmar Bergman dira avoir « touché des secrets sans nom que seul le cinéma peut découvrir ». Il confiera aussi s’être enfin émancipé du besoin de « prendre des gants avec le public », liberté dont il usera pour inventer une forme moderne de son art. Enfin, Persona demeurera le film qui l’a sauvé, comme s’applique à nous le raconter le documentaire de Maria Sjöberg, à travers des témoignages de proches mais aussi des entretiens et des écrits du cinéaste lui-même.

Considéré comme un des plus grands films du cinéma, Persona est né d’un chaos. Celui d’un cinéaste qui, en 1965, alors qu’il est au sommet de sa gloire, se met à douter au point d’estimer qu’il ne sera plus capable de tourner. Hospitalisé, en avril et en mai, sujet à des vertiges, Ingmar Bergman choisit de se taire. La seule vérité possible, juge-t-il, se trouvant dans le silence. « Que puis-je dire moi, avec mes tours de clown quand le monde brûle ? » Que peut dire un artiste face à la guerre du Vietnam ? « Je ne sais plus quoi faire de ces images », écrit alors le cinéaste dans son journal.

Un champ infini de liberté

Le hasard d’une rencontre va tout changer. Agir comme le baiser du prince à la Belle au bois dormant. Lors d’une sortie, Bergman croise Bibi Andersson. Dans les années 1950, ils ont été amants. Avec elle, il a tourné Sourires d’une nuit d’été (1955), Le Septième Sceau (1956), Les Fraises sauvages (1957), Au seuil de la vie (1958), Le Visage (1958), L’Œil du diable (1959). Dans la rue, ce jour-là, elle est avec une amie, l’actrice Liv Ullmann. Le cinéaste est frappé par la ressemblance des deux femmes. « J’ai regagné l’hôpital, toujours avec des vertiges », explique-t-il. Avec des vertiges et une image : celle de deux femmes assises côte à côte, comparant leurs mains.

Les jours suivants, l’image lui revient à l’esprit régulièrement, accompagnée d’une sensation acoustique. Bergman est toujours parti d’une idée. Le déclic s’est produit. Il se met à écrire, de nouveau, chaque matin durant plusieurs heures. Au bout de six à huit semaines, il a un scénario, Persona, dont le titre fait référence au masque que portaient les acteurs de tragédie antique. Le film met en scène une actrice, Elisabeth Vogler (Liv Ullmann), qui, ayant perdu l’usage de la parole, est envoyée en convalescence sur une île avec une infirmière, Alma (Bibi Andersson). Deux femmes – l’une ne cessant de parler pour faire sortir l’autre de son mutisme –, dont les visages finissent par se réunir en un seul. Le masque social et le subconscient réconciliés.

Bibi Andersson et Liv Ullmann dans « Persona », d’Ingmar Bergman. / SVENSK FILMINDUSTRI

L’île de Farö, en Suède, où se tourne le film, offre à Bergman un cadre aride et sans couleurs, à l’image de son paysage intérieur. L’île offre aussi au cinéaste un huis clos qui, loin de l’enfermer, lui ouvre un champ infini de liberté. Recentré sur ses actrices, loin du monde, il pousse l’imagination créatrice à un point qu’il ne s’est encore jamais autorisé.

Le documentaire de Maria Sjöberg donne autant à voir et à entendre. De ce dialogue entre les images (du film et de son tournage) et la parole (de l’actrice Liv Ullmann, du cinéaste Arnaud Desplechin, du scénariste et réalisateur N.T. Binh, de la réalisatrice et scénariste Suzanne Osten, du directeur de la photographie Darius Khondji) naît un film passionnant, intelligent et sensible.

Persona, le film qui a sauvé Ingmar Bergman, de Maria Sjöberg, réalisé par Manuelle Blanc (Fr., 2017, 55 min).