La chancelière allemande Angela Merkel, mardi 6 février au siège de la CDU, à Berlin. / Gregor Fischer / AP

Une étape décisive a été franchie dans le processus qui doit déboucher sur la formation d’un nouveau gouvernement en Allemagne. Plus de quatre mois après les élections législatives du 24 septembre 2017, les conservateurs (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates (SPD) ont mis un point final, mercredi 7 février, au « contrat de coalition » qui détaille la politique qu’ils entendent mener ensemble dans les quatre prochaines années. Ils se sont aussi mis d’accord sur la répartition des portefeuilles ministériels. Selon plusieurs médias, le SPD, partenaire dit « junior » de la future coalition (il a obtenu 20,5 % des voix aux législatives, contre 33 % pour la CDU-CSU) aurait ainsi fini par obtenir trois ministères-clés, mercredi matin, après plus de 20 heures de discussions ininterrompues : les finances, les affaires étrangères ainsi que le travail et les affaires sociales.

Si c’est confirmé, ce serait une victoire pour Martin Schulz, le chef de file des sociaux-démocrates : dans la « grande coalition » sortante, les finances étaient aux mains de Wolfgang Schäuble (CDU), dont l’ancien président du Parlement européen avait fait sa bête noire pendant sa campagne électorale, il y a quelques mois.

Pour que ce contrat de coalition débouche sur la nomination d’un gouvernement, une condition reste à remplir : que les adhérents du SPD donnent leur feu vert. Telle est en effet la question qui va tenir l’Allemagne en haleine dans les prochaines semaines : que va décider la base du parti ? Participer, pour la troisième fois depuis 2005, à une « grande coalition » emmenée par la chancelière conservatrice Angela Merkel ? Ou faire, au contraire, le choix de l’opposition, mais au risque de provoquer de nouvelles élections ? Nul ne le sait.

La première raison tient à ce qui s’est passé le 21 janvier. Ce jour-là, les 600 délégués du SPD, réunis en congrès à Bonn (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), n’ont été que 56 % à estimer que le pré-accord qui venait d’être scellé avec les conservateurs était suffisamment acceptable pour que les négociations se poursuivent. Par ailleurs, il n’a échappé à personne que le plaidoyer de M. Schulz en faveur d’une grande coalition avait été beaucoup moins applaudi que la philippique de Kevin Kühnert, le leader des « Jusos » (jeunes socialistes), contre une telle alliance.

« Adhérez et dites non ! »

La seconde raison qui rend les pronostics hasardeux tient au corps électoral. Afin de pouvoir voter pour ou contre la participation au gouvernement, il fallait avoir adhéré au SPD avant mardi 5 février à 18 heures. Peu après l’échéance, la direction du parti a annoncé que celui-ci comptait désormais 463 723 membres. Or, parmi eux, 24 339 ont pris leur carte après le 1er janvier. Dans la mesure où les Jusos font campagne depuis quelques semaines sur le thème « Adhérez et dites non ! », les partisans d’une « grande coalition » craignent que ces nouveaux membres, qui représentent tout de même 5 % du total des adhérents, fassent pencher la balance du côté de leurs détracteurs.

En Allemagne, c’est donc une nouvelle campagne qui commence. Une campagne interne au SPD, certes, mais dont l’issue sera décisive pour l’avenir du pays et celui de l’Europe. Pour la conduire, les avocats d’une « grande coalition » n’ont pas la partie facile. M. Schulz le premier. Au soir des législatives, il avait fermé la porte à une nouvelle alliance avec les conservateurs. Deux mois plus tard, après que ces derniers eurent échoué à former un gouvernement avec les libéraux-démocrates et les écologistes, il a changé d’avis. Pour faire oublier cette volte-face, qui a sérieusement écorné son autorité en interne, il doit maintenant convaincre sa base que l’accord qu’il a négocié avec la CDU-CSU est honorable.

« La fin du diktat de l’austérité »

Il s’y est essayé, dès lundi, en se félicitant par exemple que le compromis trouvé sur l’Europe signe « la fin du diktat de l’austérité ». Une expression qui semblait viser Mme Merkel, mais que celle-ci s’est bien gardée de reprendre à son compte et qui ne figure d’ailleurs pas dans le « contrat de coalition ». S’il commence en effet par un chapitre intitulé « Un sursaut pour l’Europe », où est notamment envisagé un « budget d’investissement pour la zone euro », ce qu’il prévoit ne marque pas une réelle rupture avec la politique du gouvernement sortant, ce qui est au fond assez logique dans la mesure où le SPD en faisait déjà partie.

Pour obtenir les faveurs de sa base, M. Schulz s’était également engagé, face aux délégués de son parti réunis à Bonn le 21 janvier, à ce que le document final fasse davantage de place aux revendications des sociaux-démocrates que le pré-accord négocié ces derniers jours avec les conservateurs. Certes, nul ne contestera qu’il s’y est évertué, ce dont témoigne le fait que le contrat de coalition, qui devait au départ être scellé dimanche soir, ne l’a été que mercredi.

Ces efforts seront-ils suffisants ? Le fait – s’il est confirmé – d’avoir arraché aux conservateurs le ministère des finances ainsi que les quelques avancées obtenues sur l’éducation, le logement ou la santé permettra-t-il à M. Schulz de faire oublier son renoncement à la grande réforme du système de santé qu’il souhaitait mettre en œuvre, après avoir mis en place l’introduction du salaire minimum lors de la précédente « grande coalition » ? La réponse est entre les mains des 463 723 adhérents du SPD qui devraient avoir jusqu’à fin février-début mars pour se prononcer, ce qui, en cas de vote positif, devrait permettre à l’Allemagne d’avoir un nouveau gouvernement avant Pâques.