A la fin de janvier, Hongkong a accueilli pour la première fois la plus célèbre course à la voile autour du monde en équipage, la Volvo Ocean Race. Les huit monocoques de 65 pieds monotypes qui sont arrivés de Melbourne et sont repartis vers Auckland mercredi 7 février, ont fait un « détour » de 12 000 miles nautiques (22 000 kilomètres) pour effectuer deux étapes chinoises, à Hongkong et Canton, signe de l’importance qu’est en train de prendre la Chine dans la voile.

L’ordre d’arrivée à Hongkong n’aurait pas pu mieux tomber : le bateau de Hongkong, Scallywag, est arrivé premier et son concurrent chinois, Dongfeng, deuxième. « On a reçu 15 000 jeunes sur le village de la Volvo. Nous travaillons avec la Fédération de voile de Hongkong pour offrir à des enfants défavorisés des initiations à la voile », explique le propriétaire du défi, Scallywag, le milliardaire hongkongais Lee Seng Huang, qui voudrait que le gouvernement de Hongkong soutienne davantage la voile. Cette activité y a longtemps été pratiquée, d’abord et avant tout par les Britanniques, et reste un sport d’élite.

Leg 6 Start in 65 seconds | Volvo Ocean Race
Durée : 01:05

Scallywag n’a d’ailleurs de hongkongais que le drapeau et le financement, puisque l’équipage ne compte pas un seul Chinois, ce qui explique sa faible popularité locale. A bord de Dongfeng, en revanche, trois équipiers chinois se relaient sur deux postes. La formation et l’intégration de ces talents chinois est au cœur d’un programme démarré depuis plusieurs années par le chef d’équipe Bruno Dubois, dont l’ambition est de former, à terme, un équipage entièrement chinois.

Au village d’étape de la course, les visiteurs encore peu familiers de la course au large ont découvert sur grand écran les images époustouflantes de ces aventures qui poussent l’être humain à ses limites. L’étape effectuée au moteur jusqu’à Canton, où a eu lieu une régate de démonstration le 3 février, a constitué un autre exercice de relations publiques voulu par l’organisateur Volvo, marque 100 % chinoise depuis son rachat par Geely, en 2010.

« Participer au développement de la voile en Chine, c’est en fait soutenir notre sport. La voile baisse partout, sauf ici où c’est en plein essor », estime Charles Caudrelier, le skippeur français de Dongfeng, vainqueur de la solitaire du Figaro, de deux transats Jacques-Vabre et de la Volvo Race 2012.

« Ils savaient à peine hisser la grand-voile »

De l’autre côté de Victoria Harbour, alors que le thermomètre est tombé en dessous de 12 degrés Celsius et que tout Hongkong grelotte, le grand homme un peu courbé qui arrive au prestigieux Royal Hongkong Yacht Club, serviette éponge blanche roulée autour du cou comme à son habitude, est l’un des piliers de la voile dans la région : Frank Pong Fai a découvert la voile en 1975, en Malaisie. Depuis, il a dépensé dans la fibre de carbone et le Kevlar une partie de sa fortune, faite dans l’acier. Ses splendides maxis se repèrent de loin sur la ligne d’horizon de la mer de Chine du Sud. Ils ont aussi servi à former des dizaines de jeunes aspirants marins.

Pour lui, les débuts de la Chine en voile remontent à la première participation d’un équipage chinois à une régate thaïlandaise réputée, la King’s Cup, en 2005 : « Leur défi s’appelait Blue-Juice et ils voulaient bien sûr gagner. Mais franchement, ils savaient à peine hisser la grand-voile ! » Frank Pong prit alors sous son aile deux riches industriels, Qiu Jianmin et Wu Yi, qui étaient venus voir l’événement avec une forte envie d’apprendre.

Il leur conseilla l’achat d’un 42 pieds en France. Les entraînements commencèrent à Shenzhen, tout près de Hongkong, et la passion devint vite contagieuse. Deux ans plus tard, Shenzhen accueillait sa première China Cup et la Chine parvenait à mettre vingt bateaux sur la ligne de départ, soit un tiers de la flotte. La onzième édition, en 2017, a attiré plus de 1 500 marins de quarante nationalités, sous le patronage de la Coupe de l’America, prêtée spécialement par ses gardiens actuels, Emirates Team New Zealand.

Quant à celui qui était le skippeur de Blue-Juice en 2005, il n’était en fait pas si mauvais que cela. Il s’agit de Wang Bin, à l’époque vice-président de l’énorme entreprise Sina.com, initié à la voile par le Français Luc Mery. Depuis, Wang Bin a fait le tour du monde à bord de son 82 pieds et a aussi embarqué une partie de l’équipage franco-chinois de Dongfeng pour la course Sydney-Hobart en 2016.

Aujourd’hui la Chine organise une centaine d’événements nautiques par an. La fréquence des événements s’est accélérée à partir du milieu des années 2000 et autour des Jeux olympiques de 2008, organisés à Qingdao pour les épreuves nautiques. Création de structures, formation des athlètes… « Là, ils ont compris qu’il fallait s’y mettre », commente Thierry Barot, qui prit en charge le premier défi chinois dans la Coupe de l’America, en 2007.

Tabarly chinois

Là encore, ce fut d’abord du bricolage, avec une seule course gagnée à Valence (Espagne), à la suite d’une avarie d’Oracle. Mais peu importe. L’arrivée de la Chine dans la voile est une excellente nouvelle pour le secteur, qui y voit non seulement une pépinière de talents, mais aussi une manne de sponsors potentiels. Preuve en est, l’entorse flagrante faite au règlement de la Coupe de l’America pour accueillir coûte que coûte et en dernière minute le défi chinois.

« Ce qu’il faut à présent, c’est que des jeunes Chinois inspirent la prochaine génération, comme nous, les Français, avons tous été inspirés par des marins qui ont dix ans de plus que nous, assure Charles Caudrelier. On a la chance d’avoir à bord trois marins chinois qui sont exceptionnels. Il y en sûrement quelques autres. »

HGC In-Port Race Hong Kong in 93 seconds | Volvo Ocean Race
Durée : 01:34

« Quand j’étais petit, je voyais les photos de mon oncle et de ma tante qui étaient champions de 470, cela me faisait rêver », confirme un des équipiers de Dongfeng, Xue Liu, à la fin d’une régate d’entraînement dans le port de Hongkong, avec des étoiles dans les yeux.

Les héros de la voile chinoise se comptent sur les doigts d’une main : Guo Chuan, premier – et seul à ce jour – marin chinois à avoir effectué le tour du monde en solitaire, en 2013 (à bord de l’ancien trimaran de Francis Joyon), a disparu en mer en 2016 ; la véliplanchiste Yin Jian est devenue la première championne olympique chinoise en voile en 2008 ; Xu Li Jia a été médaillée de bronze en Laser en 2008 puis championne olympique en 2012… Elle aurait, dit-on, le potentiel pour diriger un défi pour la Coupe de l’America.

En matière de course au large, une demi-douzaine de noms circulents, mais tous les espoirs se portent sur Chen Jinhao. Déterminé et hyperdoué, ce beau gosse de 25 ans a tout pour devenir le Tabarly chinois. « Je le vois bien devenir un jour le premier skippeur chinois d’une Volvo Race », commente Charles Caudrelier.