Le chef de la minorité démocrate au Sénat Charles Schumer et celui de la majorité républicaine Mitch McConnell, le 7 février au Capitole, à Washington. / CHIP SOMODEVILLA / AFP

La formule, assassine, a été prononcée, mardi 6 février, par le secrétaire à la défense des Etats-Unis, James Mattis, lors d’une audition au Sénat. « Les seize dernières années de guerre ont beau avoir été dures, aucun ennemi sur le terrain n’a autant fait pour nuire à la préparation de l’armée américaine » que les tergiversations du Congrès, a-t-il assuré. La situation pourrait changer avec l’accord conclu entre démocrates et républicains au Sénat, mercredi 7 février. Il a semblé satisfaire la Maison Blanche, si l’on en juge le message enthousiaste que le président Donald Trump a publié aussitôt sur son compte Twitter.

Trois semaines après un bref blocage du gouvernement fédéral, du 20 au 22 janvier, faute de moyens alloués par les élus pour fonctionner, y compris pour les armées, une nouvelle menace de shutdown (« fermeture ») pesait en effet sur Washington. Le Congrès avait débloqué la situation en votant une courte rallonge de trois semaines, qui arrivait à expiration jeudi 8 février.

Seuls maîtres du jeu par rapport aux souhaits que peut exprimer de son côté la Maison Blanche, les élus américains ont pris depuis longtemps la mauvaise habitude d’être incapables de s’entendre sur un budget au début de chaque année fiscale, qui débute traditionnellement en octobre. La maîtrise totale par le Grand Old Party du Congrès et de la Maison Blanche, depuis l’élection de Donald Trump, n’a pas modifié cette donne, faute d’une majorité suffisamment large au Sénat pour se passer des voix démocrates. Un seuil de 60 voix est en effet requis, alors que les républicains n’y disposent que de 51 sièges.

Trois rallonges ont ainsi été votées successivement en septembre, en décembre 2017, et en janvier 2018, en reconduisant les dépenses votées lors du dernier exercice. Selon le secrétaire à la défense, ces reconductions au coup par coup empêchent tout effort de planification à long terme. « La Chine court, et pendant ce temps, les deux partis américains font du tir à la corde », assure le politologue Bill Galston, ancien de l’administration de Bill Clinton, aujourd’hui à la Brookings Institution.

Relèvement du plafond de la dette

Une nouvelle rallonge avait été votée mardi par la Chambre des représentants, mais l’accord obtenu mercredi au Sénat par le chef de la majorité républicain, Mitch McConnell (Kentucky), et celui de la minorité démocrate, Chuck Schumer (New York), devait permettre pour un temps de rompre avec cette pratique adoptée par défaut. Il devait être mis au vote jeudi. Un échec ouvrirait une crise majeure.

L’accord prévoit une hausse des dépenses d’environ 300 milliards de dollars sur deux ans. Les sénateurs envisageaient pour 2018 et 2019 un gonflement annuel des dépenses militaires de l’ordre de 80 milliards de dollars (65 milliards d’euros), selon le Washington Post, qui s’ajouteraient aux 549 milliards du dernier exercice. Il serait complété par une hausse des dépenses non militaires, notamment sociales, de 63 milliards de dollars, selon la même source, en plus d’un total qui s’élève pour l’instant à 516 milliards. S’y ajouterait également une aide de 90 milliards de dollars pour les Etats et territoires américains dévastés par les tempêtes de 2017.

Le compromis devait satisfaire la majorité des élus des deux camps, à l’exception des conservateurs fiscaux. Ces largesses, en rupture avec la discipline budgétaire prônée par les républicains durant les deux mandats de Barack Obama, si elles sont adoptées, pèseront en effet lourdement sur un déficit déjà aggravé par la réforme des impôts votée en décembre 2017. Cette dernière va priver l’Etat fédéral de précieuses recettes provenant de la fiscalité des entreprises et des personnes les plus fortunées. L’accord du Sénat prévoit d’ailleurs un nouveau relèvement du plafond de la dette.

Des militants pro-immigration, le 7 février à Washington. / JOHN MOORE / AFP

Ces blocages budgétaires récurrents auxquels Donald Trump, en dépit des assurances sur ses qualités managériales avancées pendant la campagne, n’a pas été capable de remédier, sont compliqués cette année par le dossier de l’immigration, qui divise profondément les deux grands partis. Le président a même envisagé un instant de bloquer lui-même l’Etat fédéral, ce qu’il peut faire en refusant de signer toute loi de finance votée par les élus, si le Congrès n’adopte pas les mesures restrictives qu’il propose. Manifestement tenu à distance par les responsables du Sénat dans la négociation budgétaire, il a semblé remiser ses menaces jeudi, alors que le compromis au Sénat ne les évoque pourtant pas.

De son côté, la responsable de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Californie), a conditionné mercredi, au terme d’un discours marathon de plus de huit heures, un vote favorable sur le compromis budgétaire du Sénat à l’engagement du speaker (président) de la Chambre, Paul Ryan (Wisconsin), d’organiser un vote sur la politique migratoire. « De quoi avez-vous peur ? », s’est interrogée Mme Pelosi. Le dernier record de durée pour une intervention prononcée dans cette assemblée remontait à 1909.

Troc sur le « mur »

Le débat sur l’immigration a été relancé par la perspective de voir, début mars, les sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis (également appelés « Dreamers ») se voir privés d’un statut temporaire créé par Barack Obama mais supprimé par son successeur. Donald Trump veut monnayer la régularisation des bénéficiaires de ce statut et de ceux qui auraient pu le solliciter (1,8 million de personnes au total) en échange du financement du « mur » qu’il souhaite voir érigé sur la frontière avec le Mexique et d’une importante révision des règles migratoires. M. McConnell, le patron de la majorité sénatoriale, pourrait cependant prendre ses distances par rapport à ces exigences.

Après avoir bloqué sans succès le gouvernement fédéral en janvier pour obtenir un règlement de la question des « Dreamers », les démocrates se sont ravisés. Au grand dam de leur aile gauche, très mobilisée sur le sujet, ils ont levé leurs menaces sur le budget au prix d’une augmentation significative des dépenses non militaires qui leur tiennent à cœur, notamment sociales.

Ils semblent prêts désormais à troquer la régularisation des sans-papiers contre des fonds fédéraux pour le « mur », mais sans s’engager sur les autres points d’une réforme de la politique d’immigration. Les « Dreamers » disposent d’une image favorable auprès d’une large majorité d’Américains, toutes sensibilités politiques confondues. En revanche, seule une majorité de républicains soutient le projet de « mur » dont Donald Trump avait assuré, pendant la campagne, qu’il serait financé par le Mexique.