L’université Paris-Descartes fait partie des facultés de médecine qui expérimentent l’accès aux études en santé pour des titulaires de licence. / Fred Romero / CC by 2.0

Une foule de prétendants et peu d’élus. « Une boucherie » même, selon certains universitaires. A la rentrée 2017, la première année commune des études de santé (Paces) a attiré près de 60 000 étudiants, dont environ 80 % ne poursuivront leurs études ni en médecine, ni en pharmacie, odontologie ou maïeutique. Réussir son année ne suffit pas pour décrocher un ticket d’entrée en deuxième année. C’est le rang de classement aux concours qui décide de l’obtention de l’une des places disponibles dans les différentes spécialités, dont le nombre est fixé chaque année par le gouvernement depuis 1971, le fameux « numerus clausus ».

Peu d’équivalences

Les étudiants qui échouent à la deuxième tentative « perdent », de fait, deux années. Une situation régulièrement dénoncée dans des rapports d’experts sur la filière. Car, contrairement aux classes préparatoires aux grandes écoles, la Paces n’offre pas ou peu d’équivalences.

Six universités veulent expérimenter, dès la rentrée 2018, la suppression du redoublement en première année au profit d’un concours remanié. Et des expérimentations visant à diversifier les voies d’entrée dans les études de santé sans passer par la Paces se développent dans une dizaine d’universités françaises. Mais ces alternatives (dont l’« Alter Paces ») sont encore marginales, et le concours de la ­Paces quasiment incontournable.

Le bonheur des prépas privées

A première vue, les prépas privées sont les grandes gagnantes de l’histoire, avec un accompagnement à la Paces facturé 3 000 euros en moyenne, mais pouvant atteindre 17 000 euros ! Elles ne sont pas les seules à être attachées au principe de ce concours, régulièrement remis en question. « Il profite d’abord à ceux qui le réussissent », lance Jean-Loup Salzmann, docteur en médecine et ex-président de la ­Conférence des présidents d’universités.

Portrait-robot du lauréat ? Bachelier scientifique, mention bien ou très bien, issu de catégories professionnelles élevées. Un enfant d’ouvriers en Paces est une exception statistique : il a 2,5 fois moins de chances d’intégrer la deuxième année de médecine qu’un enfant de cadres, selon un rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, publié en 2015.

« Comment identifier, chez un jeune de 18 ans, la petite graine de bon médecin, rigoureux, humaniste et suffisamment résistant pour faire face à la mort ? » s’interroge Jean Sibilia, doyen de l’université de médecine de Strasbourg

« L’existence d’une forte sélection en amont apporte un certain prestige aux études médicales et contribue à garantir une forte sélection sociale, comme dans les grandes écoles », complète Marc-Olivier Déplaude, auteur de La Hantise du nombre. Une histoire des numerus clausus de médecine (Les Belles Lettres, 2015). Selon lui, cette « logique de statut » est – avec le fait d’être « suffisamment nombreux pour satisfaire les demandes, mais pas trop pour éviter une grande concurrence » – l’une des raisons de l’attachement des médecins libéraux au concours.

Le sociologue note également que le numerus clausus profite aux caisses de l’Assurance-maladie : « Plus il y a de médecins, plus cela coûte cher en honoraires et prescriptions. » Limiter le nombre de médecins est donc un moyen de réduire leur impact sur les dépenses de santé.

« Les meilleurs en quoi ? »

Quid de la pertinence du concours pour sélectionner ceux qui ont le potentiel pour devenir de bons médecins dans dix ans ? Jugeant que c’est l’outil utilisé pour sélectionner qui contraint le profil, le doyen de l’université de médecine de Strasbourg, Jean Sibilia, s’interroge : « La sélection sur les maths et la physique, bref, la docimologie classique [façon dont sont attribuées les notes par les correcteurs], avantage les meilleurs lycéens. Mais les meilleurs en quoi ? Comment trouver l’outil algorithmique qui permette d’identifier, chez un jeune de 18 ans, la petite graine de bon médecin, rigoureux, humaniste et suffisamment résistant pour faire face à la mort ? »

Le doyen est favorable à l’ouverture de 10 % à 20 % des places en deuxième année à des étudiants sélectionnés sur dossier et entretien. L’université de Strasbourg fait d’ailleurs partie des universités ayant déjà sorti un petit orteil de la voie unique du concours, avec l’Alter Paces, qui réserve quelques places en deuxième année à des étudiants issus d’une L2 ou L3 de sciences. Une évolution, pas une révolution. « Les services administratifs qui gèrent plusieurs milliers de dossiers n’en peuvent plus des réformes des études de santé », prévient Jean Sibilia.

Des métiers plus tournés vers l’humain

Si Yanis Merad, le président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), se réjouit de la « multiplication des voies d’entrée en deuxième année », il estime que la sélection des futurs médecins « ne peut plus reposer uniquement sur les sciences et l’apprentissage par cœur, très présent en Paces comme en deuxième cycle ».

Etudiant en quatrième année de médecine, il déplore que l’on entende « encore régulièrement que si on fait médecine, c’est pour en baver. C’est une forme de bizutage intergénérationnel ». Selon lui, le profil très scientifique « de gens qui triment de façon individualiste pour les concours » ne correspond plus « à l’évolution des métiers de la santé et de la médecine de plus en plus tournés vers l’humain ».

Davantage de stages notés

Ancien président de Paris-XIII, Jean-Loup Salzmann relève que « les épreuves actuelles permettent de sélectionner une forme d’esprit, sur la mémoire, l’abstraction et la puissance de travail ». La sélection idéale devrait, selon lui, se faire « à la manière de l’Alter Paces, mais pour tous les étudiants et pas seulement pour 10 à 20 % du numerus clausus. Elle concernerait les meilleurs des différentes licences disciplinaires, après deux ou trois ans de licence, avec un concours en contrôle continu plutôt qu’un examen terminal »

L’ex-président de la CPU préconise également de mettre en place « davantage de stages notés, durant lesquels on regarderait bien ce qu’il en est de l’empathie, de la motivation et de la présence au lit du malade, cela afin d’éviter de se retrouver avec de très bons étudiants mais qui ne supportent pas cette dimension essentielle du métier ».

A l’heure où l’intelligence artificielle parvient à coiffer n’importe quel médecin en matière d’analyses de données et de diagnostic, le président de l’Anemf plaide également pour une meilleure prise en compte des « compétences relationnelles et professionnelles » dans l’évaluation des futurs professionnels de santé. Jean Sibilia assure que la réforme du deuxième cycle d’études de médecine, l’externat, proposée par la Conférence des doyens d’université aux ministres de la santé et de l’enseignement supérieur, va dans ce sens. « Mais il n’y a pas de compétences sans connaissances, prévient le doyen strasbourgeois. Et il ne faudrait pas laisser toute la connaissance au robot. »

Découvez notre dossier spécial sur les concours

Le Monde publie, dans son édition datée du jeudi 8 février, un supplément dédié aux nombreux concours de l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse de l’accès aux études de médecine, aux grandes écoles, et des « prépas » qui permettent de les réviser. Ses différents articles sont progressivement mis en ligne sur Le Monde.fr Campus, rubrique Concours.