L’effort est colossal : près de 300 milliards d’euros cumulés seront consacrés à la défense nationale à l’horizon 2025. Le conseil des ministres doit examiner, jeudi 8 février, la loi de programmation militaire, qui prévoit précisément la façon dont cet argent sera dépensé pour les sept années à venir. L’objectif ? Porter les dépenses de défense de la France à 2 % du PIB en 2025. Dans un tchat avec les internautes du Monde.fr, notre journaliste Nathalie Guibert a répondu à vos questions sur cet effort budgétaire inédit.

QDI : Quel est le montant supplémentaire consacré à la défense, par rapport au budget précédent ?

Le gouvernement fait une comparaison entre la période 2014-2018 et la période 2019-2023 en disant que l’effort était de 160 milliards d’euros durant la première, et qu’il sera de 198 milliards sur la seconde. Soit 7,4 milliards d’euros de plus en moyenne sur le budget annuel de la défense, qui doit atteindre 44 milliards en 2023.

Yoyo : 2 % du PIB, est-ce beaucoup par rapport aux autres pays, et notamment nos voisins européens ?

2 % est un indicateur grossier (tout dépend de ce qu’on fait avec), mais qui a été adopté par les 28 alliés de l’OTAN en 2014 pour fixer un objectif commun, un effort mesurable. Actuellement, cinq pays, dont les Etats-Unis, atteignent cet effort de défense. La réalité de cette mesure dépend aussi beaucoup de la richesse nationale : si l’Allemagne veut atteindre 2 %, elle aura un budget militaire de 60 milliards d’euros !

En France, les 2 % sont, en réalité, quasiment atteints si on compte les pensions militaires. Et globalement, on peut aussi relativiser l’indicateur en rappelant que les dépenses sociales, en Europe, sont beaucoup plus lourdes : 31,5 % du PIB en France, par exemple.

Albert : A quelles nouvelles menaces cette politique répond-elle ?

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale a défini, en octobre 2017, les menaces telles que la France les voit : terrorisme, délitement d’Etats en Afrique ou au Moyen-Orient, réaffirmation de grandes puissances comme la Russie, cybermenaces exponentielles, etc.

Ces menaces s’amplifient, reconnaît l’Elysée. Mais elles existaient déjà quand la France a décidé de réduire fortement les moyens de sa défense, entre 2008 et 2012 d’une part, puis entre 2012 et 2016 d’autre part. Les armées ont perdu 60 000 emplois entre 2007 et 2017. C’est le choc provoqué par les attentats terroristes de 2015 et 2016 en France qui a convaincu François Hollande d’augmenter les moyens de la défense. Depuis, les effectifs militaires arrêtent de baisser. Ils augmenteront de 6 000 d’ici à 2025.

Brelos : 2025… c’est loin. Emmanuel Macron promet-il des choses pour son successeur ? Quelle crédibilité cette décision a-t-elle auprès du corps militaire ?

Les chefs militaires sont plutôt satisfaits. L’armée de terre avait insisté pour que les conditions de vie et d’entraînement des soldats soient améliorées en priorité, et il est annoncé 300 millions d’euros pour les petits équipements comme les gilets pare-balles, les treillis etc. Des crédits permettront de moderniser plus vite des matériels.

Cela dit, comme le dit le ministère des armées lui-même, les engagements sont « couverts de manière ferme » jusqu’en 2023, pas au-delà. Entre aujourd’hui et 2023, les armées comme les autres ministères doivent obéir à Bercy pour réduire leur dette dans l’optique de respecter les normes de Bruxelles. Ensuite, l’Elysée promet beaucoup d’argent entre 2023 et 2025, et certains attendent de voir, à raison.

Loere : Comment sera reparti le budget entre les différentes branches de l’armée ?

L’effort cumulé global (198 milliards d’euros d’ici à 2023 et de 295 milliards d’ici à 2025) se répartit non par type d’armée (terre, air, marine), mais par grandes fonctions militaires : entraînement et équipement du soldat, modernisation des matériels, innovation, renseignement, etc. Pour le renseignement, par exemple, les trois armées sont concernées par les nouveaux crédits.

Leym : Est-ce que ça colle avec ce que veut l’armée ?

Oui, si les ressources arrivent bien comme prévu. L’armée avait des priorités qui ont été retenues par le président de la République : « boucher les trous » des équipements et des moyens d’entraînement des soldats, accélérer les livraisons d’armement qui avaient été plusieurs fois retardées depuis dix ans (blindés, patrouilleurs de la marine, avions légers de surveillance…) et lancer les futurs programmes militaires pour garder l’avantage technologique.

Ensuite, une grosse part des budgets va aller à la modernisation de la dissuasion nucléaire, qui, elle, a été décidée avant l’élection de M. Macron et qu’il a assumée.

Est-ce que cette remontée en puissance du budget de l’armée signifie que la France pourra de nouveau mener des OPEX (opérations extérieures) de grande envergure ?

En tous les cas, c’est l’objectif affiché : le plan prévoit d’accélérer la livraison de matériels qui sont actuellement fournis par les alliés, notamment les avions ravitailleurs. La défense va commander plus de tankers multirôle (avions de transport et de ravitaillement), quinze au lieu de douze initialement prévus, et les livrer plus tôt que prévu dans les forces.

De plus, de gros investissements sont annoncés en matière de renseignement – avec des satellites d’écoute et d’imagerie, des bateaux (un jumeau pour le navire de guerre électronique Dupuy-de-Lôme) et des drones Reaper (deux systèmes supplémentaires, qui auront vocation d’être armés) –, afin de limiter aussi la dépendance aux moyens américains.

Seb : Un nouveau porte-avions est-il prévu, pour remplacer le porte-avions « Charle-de-Gaulle », en partie obsolète ?

Il n’y aura pas de deuxième porte-avions commandé dans cette période. Mais des crédits seront alloués pour lancer les études sur le successeur de l’actuel Charles-de-Gaulle, qui devra être prêt à l’horizon 2040.

Christophe Bourdon : Six mois après la démission du général de Villiers à la suite d’un désaccord sur la question du budget de la défense, s’agit-il d’une volte-face du président Macron ?

Non, l’augmentation des ressources des armées était une promesse de la campagne électorale. Dans son discours de mars 2017 sur la défense, le candidat Macron avait promis, sans autre précision, d’atteindre un effort de 2 % du PIB en 2025. Mais, ensuite, tout est une affaire de tempo et de réalité des engagements pris.

Le général de Villiers pensait avoir convaincu le président de démarrer fort en augmentant beaucoup plus le budget dès 2018. Or, non seulement les décisions prises par Bercy pour boucler le budget global de l’Etat sur l’année 2017 ont conduit à annuler 850 millions d’euros de crédits dans les armées en juillet, mais en plus, l’augmentation inscrite dans la loi de finances initiale de 2018 a été moindre que celle souhaitée par l’ancien chef d’état-major. Cela pouvait paraître contradictoire.

Aujourd’hui, le général de Villiers reconnaît toutefois que le cap fixé dans la loi de programmation pour 2025 est le bon. Quand il a démissionné, c’était pour dénoncer un manque de moyens. Mais il y avait aussi des raisons personnelles : il a expliqué dans son livre (Servir, Fayard, 2017) qu’il ne pouvait pas rester après l’humiliation subie le 13 juillet, quand le président l’a publiquement rappelé à l’ordre devant tous ses subordonnés et devant les invités étrangers du ministère de la défense à la veille du défilé.