Vue d’artiste d’un nouveau quartier, voisin de la gare de Bagneux, qui verra le jour avec l’arrivée du Grand Paris Express. / MIMRAM-BRENAC / Société du Grand Paris

« Les métropoles françaises se caractérisent par le primat de l’institutionnel et de l’infrastructure : les structures administratives et le nombre de tonnes de béton que l’on coule ! Tout le reste passe au second plan, comme si, mécaniquement, la gouvernance et le béton, ou les rails de métro, allaient générer de l’emploi », dit en soupirant Nadine Levratto, directrice de recherches au CNRS. Dans un rapport pour la Société du Grand Paris réalisé avec Denis Carré et Clarisse Nguedam Ntouko et rendu public en janvier 2018, l’économiste recadre certaines hypothèses économiques sur la base desquelles a été pensé, il y a maintenant plus de dix ans, le Grand Paris Express.

Ces hypothèses sont fondées sur les travaux du Prix Nobel d’économie Paul Krugman, selon lesquels plus les populations se concentrent, plus les métropoles se densifient, et plus l’économie gagne en efficacité et en productivité. Ce sont les « effets d’agglomération » qui accélèrent la croissance des métropoles, laquelle « ruisselle », se diffuse ensuite dans les territoires autour.

Nul ne conteste plus ces effets d’agglomération qui justifient un Grand Paris Express pour favoriser concentration, densité et efficacité. Mais Nadine Levratto s’étonne que si peu de personnes s’interrogent sur les conditions qui permettent à ces effets d’agglomération de jouer. « A aucun moment on ne se demande comment activer ces effets, relève-t-elle. A aucun moment on ne cherche à structurer les politiques publiques à mettre en place, pour les impulser. Comme si ces effets d’agglomération allaient de soi, une fois qu’on a mis en place les bonnes infrastructures ! »

Anticiper les effets positifs d’une nouvelle gare

Cette pensée mécaniciste qui ne lui convient guère a conduit Nadine Levratto et ses deux confrères à étudier la dynamique en emplois des 1 300 communes d’Ile-de-France, et, ensuite, à regarder la perspective économique qu’elles seraient en mesure d’espérer avec l’arrivée du métro automatique. « L’idée, explique-elle, était que s’il y avait ruissellement en emplois, on pourrait alors anticiper des effets positifs d’une nouvelle gare. Un exercice somme toute assez basique, mais jamais réalisé, car on a toujours postulé que les nouvelles gares auraient des effets d’entraînement forts dans la proximité immédiate. »

Le résultat est inverse ! Aucune commune de l’une des futures gares ne semble avoir de dynamique d’emplois supplémentaire à ce que prévoit la croissance naturelle de la région. « Aucun effet de débordement n’est perceptible sur les territoires concernés, observent les trois économistes, qui ont exploré toutes les formes d’activités économiques présentes localement, pour finalement « mettre en évidence le caractère morcelé de l’économie francilienne et la rareté des effets de débordement ». L’effet structurant du Grand Paris Express et de ses gares n’a donc rien d’évident pour l’ensemble de la région. Même les communes à forte croissance en emplois qualifiés n’entraînent que peu les communes autour d’elles, soulignent-ils.

Coopération

La conclusion peut paraître brutale : autant d’investissements pour un résultat aussi faible ! Mais elle a aussi un versant très positif. Car l’observation est loin d’affirmer que les effets d’agglomération ne marchent pas ; elle montre surtout qu’ils ne se déclencheront pas tout seuls. Créer des infrastructures ne suffit pas. « Les dynamiques économiques territoriales ne tiennent pas tant aux structures, à la composition du secteur productif ou aux secteurs d’activité ; elles s’appuient surtout, comme le souligne la Banque mondiale, sur un climat des affaires propre à chaque territoire, expose Nadine Levratto. Or en région parisienne, ce climat est actuellement plutôt négatif. Le territoire a un potentiel élevé mais il est en partie détruit par un fractionnement, des clivages politiques et institutionnels, une faible coopération entre les milieux économiques et politiques. Sur la métropole du Grand Paris, la coopération des acteurs est très faible. »

Autrement dit les effets d’agglomération ne joueront qu’avec davantage de coopération, une moindre concurrence entre territoires, une harmonisation de leurs stratégies. « Les coopérations initiées par des acteurs locaux connaissant le tissu économique de proximité sont ce qu’il a de plus efficace et de plus cohésif. Certaines intercommunalités ont réussi à instaurer une telle dynamique. Cela commence même à donner des résultats », souligne Nadine Levratto. Et l’économiste d’ajouter : « Remettre en cause aujourd’hui ces coopérations, en privilégiant l’échelon de la métropole, ferait perdre tout le bénéfice de ces collaborations qui ont mis du temps à s’instaurer. Pour que la coopération s’installe, il faut que la confiance s’instaure, et cela prend du temps. Il faut des projets communs et de la stabilité politique. Les périmètres actuels et discutés du Grand Paris ne corrigeront pas les disparités régionales, car le cœur de la métropole ne génère pas le ruissellement espéré. »