Emmanuel Macron devant le président du Conseil exécutif de Corse Gilles Simeoni et le président de l'Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni, le 7 février à Bastia. / OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». C’est un dialogue sans « faux-semblants », mais plus encore sans concession, que le président de la République a proposé aux responsables corses, au terme du déplacement qu’il a effectué, mardi 6 et mercredi 7 février, dans l’île de Beauté.

Depuis que, au terme d’une victoire électorale éclatante, autonomistes et nationalistes se sont installés en force, début janvier, à la tête de l’Assemblée de la nouvelle collectivité de Corse et de son exécutif, leurs deux leaders, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, n’ont cessé de réclamer l’ouverture d’un « dialogue véritable » sur l’avenir de l’île.

L’occasion est enfin venue, ont-ils martelé, de reconnaître « le caractère politique de la question corse ». Et de répondre à leurs revendications : mention spécifique de la Corse dans la Constitution, statut de large autonomie (notamment fiscale, voire législative), co-officialité de la langue Corse, statut de résident pour juguler la spéculation immobilière, rapprochement puis amnistie des « prisonniers politiques ». Sans quoi l’île risquerait de connaître à nouveau les violentes crispations qui ont marqué son histoire récente.

Emmanuel Macron a démontré que, s’il était parfaitement disposé à accompagner la Corse dans son développement et dans son « émancipation », il n’entendait nullement céder à cette pression très insistante. Aussi clairement que fermement, le chef de l’Etat a écarté la plupart des changements exigés, ou peu s’en faut, par le tandem ­Simeoni-Talamoni.

L’amnistie des prisonniers ? Pas question. La co-officialité de la langue corse ? Elle serait contraire à la Constitution, ce qui n’interdit pas, au contraire, le développement du « bilinguisme ». Le statut de résident ? Ce serait une « impasse juridique », a jugé le président, tout en notant que les Corses eux-mêmes sont les principaux bénéficiaires de la spéculation immobilière qu’ils dénoncent. Quant à une éventuelle réforme fiscale, il a averti qu’elle entraînerait nécessairement une réduction équivalente des importantes dotations de l’Etat attribuées à l’île.

« Face-à-face ruineux et stérile »

Seul le point symbolique de la reconnaissance de la Corse dans la Constitution, par un aménagement de son article 72 consacré aux collectivités territoriales, a fait l’objet d’une ouverture significative, sous réserve que le contenu concret de cette singularité soit rapidement discuté et précisé.

Mais Emmanuel Macron ne s’est pas arrêté là. Il a également donné aux responsables corses une leçon de bonne administration. Avant de revendiquer de nouvelles évolutions institutionnelles, commencez par exercer pleinement les responsabilités – déjà très larges – qui sont les vôtres, leur a-t-il recommandé sans ménagement. Et de souligner, notamment, le sous-emploi des dotations de l’Etat ou des aides européennes, ou encore les faiblesses de la politique du logement conduite par la collectivité insulaire.

Le message présidentiel a donc été on ne peut plus clair : la République est résolue à aider vigoureusement la Corse à construire son avenir, à condition que celle-ci ne s’enferme pas dans un « face-à-face ruineux et stérile » avec la République.

« Occasion manquée », ont aussitôt regretté amèrement les responsables de l’île. Reste à savoir s’il s’agit des premices d’un dialogue rugueux mais nécessaire ou d’un nouvel épisode du dialogue de sourds engagé depuis trop longtemps entre la Corse et « Paris ». La réponse, à ce stade, est imprévisible.